mardi 14 septembre 2010

Dissolution d'un ectoplasme (XII et dernier)




Illustration D.M.




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Chœur Monsieur Julien TERRENEUVE, Poète, écrivain de théâtre, écœuré, se sentant une ultime fois nié, ignoré, bafoué, méprisé, a marché toute une partie de la nuit. Il n’est rentré chez lui que vers trois heures du matin. La tête en papier mâché et remâché. En bouillie.
Marie-Françoise a attendu sur le palier jusqu’à une heure et elle est rentrée chez elle plus morte que vive.
La Gendarmerie a promis qu’on se mettrait en recherche à huit heures si Monsieur TERRENEUVE n’a pas donné signe de vie d’ici là.
Monsieur Julien TERRENEUVE a récupéré les dix livres de ficelle et de papier qui lui restent, les a mis dans un sachet en plastique.
Il a rempli un autre petit sac de vieux bouts de pain rassis et est ressorti sans que personne ne s’en rende compte.
Il a marché comme un fantôme dans la ville déserte est s’est rendu au bord du fleuve. Sur les quais de marchandises abandonnés depuis si longtemps. Seule une vieille grue morte de rouille se dresse en un cri de détresse muette figé à tout jamais.
Monsieur Julien TERRENEUVE, le Poète inconnu, la voix sans oreilles, s’est assis sur la dernière marche du petit escalier, à fleur d’eau. Il sait que dorment là quelques couples de cygnes.
Ça s’agite un peu de cette apparition nocturne inhabituelle.
Les morceaux de pain qui sortent du petit sachet et qui commencent à prendre le fil du courant inspirent cependant les animaux. Après tout, si le vieil homme trouve son compte à cette aumône impromptue…
« -Salut, mes petits camarades. N’ayez pas peur, vous me reconnaissez, hein ? Avec vous, je me sentirai moins seul pour… C’est un moment un peu… délicat… une … dissolution… J’en ai pour quelques minutes, vous savez… je vous rendrai ensuite à votre paix. Allez, mon gars, en piste !»
Il se redresse alors, sort du sachet les livres de ficelle et de papier.




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M. Terreneuve Enfants figés d’effroi serrant sur vos poitrines les chaudes poupées de chiffon, femmes traçant de vos frêles chevilles d’envoutantes arabesques au mauve des dalles de granit, éteignez vos braises vives à l’eau du fleuve, « PUISQUE TOUJOURS TOURNE LE MONDE ».
(Il jette ce titre au courant)

Arbre gigantesque, hébergeant la beauté du monde, de l’abri sombre de tes racines à ton faîte perdu dans les nuages, plonge au néant de l’oubli puisque « DES HOMMES SONT VENUS ».
(Il jette ce titre au courant)

Petite Marie, belle petite Marie qui a tant pleuré d’avoir croisé un fantôme sur ton chemin d’enfant au cœur pur, reprends, apaisée, tes rêves de Monde merveilleux où ne volète aucune « VIVE POUSSIERE ».
(Il laisse tomber ce titre au courant)

Pauvre vieil enfant aveuglé aux fournaises du Monde des hommes, qui t’es jeté âme la première à la dévorance du « SILICIUM », désaltère-toi enfin à la paix de l’onde.
(Il laisse tomber au courant ce titre)

Petit bonhomme mal aseptisé qui ne pouvait que frapper de ton petit point rageur sur le verre de ton bocal pour empêcher l’écrabouillement prophylactique de la merveilleuse femme-libellule, leur emprise au Monde a vaincu et il nous restera à jamais « COMME UN GOÛT DE CENDRE AU REVEIL ».
(Il jette ce titre au courant)

Petites canailles de lutins infréquentables, Briscard, Calebasse, Cholesto, le beau Gersure, Jarnicot, La Bandoche, Phéromone, Purus, Zeugmette, la délicieuse, la sucrée, la perverse… Votre Eminence Sa Béatitude Troisaucube, et vous, crapules de carnaval, Roi Fulminate, Reine Rubéole, Princesse Entrecuisse, Monsieur le Président de la Paix, Roi Purgarer, Reine Saignarée, Roi RictusIV, Reine Rectaversa, Reine Vinaigrette Sulfurique, Pauvre andouille de prince Consort, Roi Vitembois, Reine Chattencuire, grand dadet de Prince Billedacier et vous autres, manants, Funiculus le messager, monsieur l’Astronome, troupeau asservi des paysans et toi, petit Hérault de cérémonie, vous deviez annoncer sur les tréteaux « L’APOCALYPSE SELON ZEUGMETTE », vos mots n’ont pu franchir mon impuissance à les faire entendre, que les eaux noires les dissolvent.
(Il jette ce titre au courant)

Bûchette qui croyait que tout homme peut être sauvé de ses cauchemars, qui avait un cœur vaste jusqu’à aimer une sœur morte de douleur, Marie-Hélène qu’on a tuée à force de larmes, Monsieur Gildas, triste héros, mangeur de destin, je vous demande pardon pour cette inexistence qu’on vous a jetée à la figure. Il ne restera rien de cette rencontre, pas même « TROIS P’TITS COQUELICOTS ».
(Il jette au courant ce titre)

Insupportables et attachants petits marmousets, Félicité, la grande gueule au cœur d’or, Kavichy, le vieux con qui t’es coulé sans t’en rendre compte au moule inaltérable du bœuf ordinaire et imbuvable, Odile, la belle Odile, l’éternelle errante à la recherche de ce bonheur d’enfant qui t’a été volé, Sandya, Rabiha, les belles louloutes à la tête encombrée de rêves heureux, Samy, le poète aux idées multicolores, paumé dans une époque si grise, si gluante, Marco, le pote de chez pote, le frère, Simon, l’enfant blessé, haché vif déjà par une société aux trop grandes dents, Cassy, la magicienne, et toi aussi, Kiki, le petit ours en peluche tout crade et qui donne pourtant du bonheur à une vieille enfant abandonnée, il aurait pu être fort, votre message de vie, s’ils en avaient voulu ! Mais non, pas de place pour ça ici. Alors, je vous abandonne, le cœur meurtri, à vos « LIGNES DE FUITE ».
(Il laisse s’échapper ce titre au courant)

Cher, cher Croccopasti, Le « Roi des rats, le rat des Rois », chers vieux bourgeois, Maitre Clock, Maitre Rafino, et vous, belle jeunesse de jongleurs et de funambules, Capuccinetta la plou bella, qui saura que pour que se fête comme il se doit « LE MARIAGE D’ARLEQUIN », il faudrait en passer par la repentance d’un homme et par le pardon de tous ?
Quelle belle leçon vous donniez au Monde ! Mais puisque ce droit de DIRE vous a été refusé…
(Il jette le titre au courant)

Pauvre Armandine, Armandine perdue dans la forêt, qui as tellement peur des sangliers, et qui en veux au monde entier de n’avoir pas le droit de voir ta maman, Delphine, qui passes tes nuits à regarder les étoiles vides en tenant ton ours bien serré sur ton cœur, Marina, Nadia, et ce cher, ce bon monsieur Vladic, grâce auxquels on n’aurait jamais plus regardé le ciel de la même façon, pour peu qu’on vous ait suivis dans cette inoubliable rencontre au « COL DE LA BICHE ».
Et toi, Marie la courageuse, Marie la farouche, et Morine, Chouquette, Mouche, tes si fidèles copines, Mireille, la petite infirmière au beau courage moral qui défends ces adolescents du regard sale des adultes qui ne peuvent comprendre qu’on rêve d’un monde où l’on ne tue pas les enfants. Cette pièce où l’on s’est dressé, où l’on s’est battu, cette pièce où l’on a interpelé jusqu’au Président de la République, pour changer le cours insupportable des choses. Cette pièce où la jeune fille n’a pas écouté la voix de la facilité quand tout le monde lui disait : « DÉCONNE PAS, MARIE ! »
(Il laisse filer au courant le recueil de deux titres pour adolescents)

Seuls, quelques-uns de mes petits personnages auront-ils une chance d’éclore au soleil… Morine, Muriel, vous avez pris le petit singe savant FROTTZY sous votre protection contre cette vieille brute d’Alex BRICZANOFF, son cruel dompteur. Et dans cette pièce aussi, le miracle du pardon ! « Y PARLE !! Y PARLE !! »
Bénédicte, Gaëlle, Jenny, Marie-Laure, Véronique, ça vous plait de faire du théâtre avec monsieur Constantin, mais ça pourrait être tellement mieux si… Alors vous vous révoltez : « RAS LES COUETTES ! » criez-vous ! Mais qui, pour vous entendre ?
Judith est frappée par une crise en pleine récréation ? Toutes les copines, Angélique, Carmen, Mélanie, Morgane, Rachel et l’infirmière et le Docteur et la Directrice vont tout faire pour trouver les fameuses perles rouges qui manquent à Judith. Et empêcher le Vieux Caron d’emmener la pauvre enfant sur l’Ile d’où l’on ne revient pas. EH ! Judith, « ATTENDS-NOUS ! »
Jérôme, David, Mariette, les quelques enfants qui ont pu incarner vos personnages se sont régalés à déjouer les pièges du jeu, du Lutin, de la Sorcière, des loups, des moutons, des araignées, des sirènes, de la pauvre Princesse qui se fait papillon…
Mais il n’a jamais vraiment pu avoir lieu, le « COUP DE FOUDRE ».
Et ce bon monsieur Dumoulin, coincé dans son univers gris, comme il aimerait voir des classes et des classes d’enfants aider Momiche, Léon, Gaspar et Ramsès, les gros matous bariolés, à le faire s’échapper de ce mauvais rêve et à retrouver l’univers coloré et ensoleillé de son enfance, au cours de cette « NUIT BLANCHE POUR LA BANDE A MOMICHE ! »
Que de bonheur, tous ensemble, ils pourraient offrir…
Ceux-là, de personnages, j’ai confié aujourd’hui leur sort à une gamine de dix ans.
Qu’en fera t-elle ? S’en sortiront-ils mieux que nous ?
La métaphore universelle veut que le poète confie ses mots au vent ensemenceur. A moi, il ne reste qu’à couler les miens dans mon cercueil de vase et de limon.
Puisque la société des hommes a décidé que tel se conjuguait notre destin d’inexistence.




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Chœur Entouré des cygnes majestueux qui voient en lui un camarade de repas et de jeux, le poète aux mots interdits, aux mots emmurés, aux mots noyés dans la boue des viles strates, le poète glisse ses mains dans les poches de son vieux veston dépareillé, serre les poings, emplit ses poumons et, une à une, descend les marches qui poursuivent leur farandole triste sous les puissantes et froides eaux du fleuve.
Il s’immobilise un instant à admirer, à hauteur de regard, le glissement léger et silencieux des superbes oiseaux.
« -Que la vie vous soit douce, petits amours ! ».
Enfin, triste et confiant, il s’abandonne à l’onde, espérant la paix de l’ultime et salvatrice dilution.



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Choeur Le vieil homme a dit : « -Ainsi donc, Amandine… Joli prénom, Amandine… ainsi donc, petite mademoiselle, tu aimes la Poésie… tu en écris aussi ? »

La petite a dit : « -La maitresse, à l’école, elle nous a fait écrire des poèmes sur les gâteaux et tout ce qui est bon à manger ! »

Le vieil homme a dit : « -Sur le thème de la gourmandise, en somme… et toi, de quoi parlait ton poème ? »

La petite a dit : « -Moi, j’en ai fait plusieurs. Un sur les Carambars, j’adore ça, et aussi un qui racontait l’histoire d’une petite fille qui suit un chat dans un trou de souris et qui découvre un trésor de bonbons et de gâteaux au chocolat ! Elle en mange tellement qu’elle attrape une indigestion et elle a des boutons de toutes les couleurs qui lui poussent sur la figure ! … »

Le vieil homme a dit : « -Et bien, dis-donc, tu en as de l’imagination ! Et tous ces poèmes, qu’est-ce que votre maitresse vous en fait faire ? »

La petite a dit : « -Ben, on les a tous lus à la fête de l’école, devant les parents, et elle les a donnés à l’imprimeur pour en faire une espèce de livre, avec des dessins, aussi. »

Le vieil homme a dit : « -C’est une bonne idée, ça, de faire un livre ! »

La petite a dit : « - Oui, mais maintenant que j’ai changé de maitresse, ben, le livre, on l’a plus ! »

Le vieil homme a dit : « - Puisque tu as écrit plusieurs poèmes, tu n’as qu’à te fabriquer un livre avec, en y rajoutant tes dessins ! »

La petite a dit : « -HUUMMM ! Les livres, c’est pas les gens qui les fabriquent ! C’est les imprimeurs ! Je le sais bien, j’ai un tonton qui travaille dans une imprimerie. Même que les livres, y’a un numéro dessus, un code-barres. C’est lui qui m’l’a montré, alors ! »

Le vieil homme a dit : « -Et le livre que je t’ai offert, pour ton anniversaire, tu crois peut-être que c’est un imprimeur qui l’a réalisé sur ses énormes rotatives ? Tu me fais rire… Il n’est pas beau, mon livre ?»

La petite a dit : « -Ben oui, il est beau, même si il est bizarre avec sa ficelle ! Mais c’est pas un vrai livre, y’a même pas le code, d’abord… »

Le vieil homme a dit : « -Evidemment, s’il n’y pas de code… Tu as vu, ce sont des pièces de théâtre, pour de jeunes acteurs de ton âge ! Ce serait bien si… Ça me ferait plaisir… Tu aimes ça, le théâtre ? »

La petite a dit : « - Oh, oui, j’adore ça ! J’en ai fait l’année dernière au Centre aéré. Et à la rentrée, maman, elle va m’inscrire à un vrai cours de théâtre. C’est un ami à elle, elle le connaît du temps où elle faisait l’actrice ! Et lui, y s’appelle Vincent… chais pas comment! Et il écrit des super-pièces et je vais en jouer une ! Tu veux voir son livre, avec toutes ses pièces ? J’l’ai dans ma chambre… »

Le vieil homme a dit : « - Un vrai livre, bien sûr, avec le code-barres ? »

La petite a dit : « -Ben, oui, un vrai livre ! Même qu’il en a vendus plein, alors… Tu veux le voir, dis ? »

Le vieil homme a dit : « -C’est gentil, mais, plus tard, Amandine, là, je suis un peu fatigué. Je crois que je vais dormir encore un peu avec le chat. Tu veux bien remmener l’assiette du gâteau à la cuisine? Il était très bon, tu sais ! »

Marie-Françoise C’est ma faute. J’avais tellement de choses à penser, pour que tout se passe bien ! J’ai oublié de dire à la petite de pas… qu’y fallait surtout pas… C’est ma faute…
C’est ma faute.

Chœur « - Et à la rentrée, maman, elle va m’inscrire à un vrai cours de théâtre. Lui, y s’appelle Vincent chais pas comment! C’est un ami à maman ! Il écrit des super-pièces et je vais en jouer une ! Tu veux voir son livre, avec toutes ses pièces ? »

« - Et à la rentrée, maman, elle va m’inscrire à un vrai cours de théâtre. Lui, y s’appelle Vincent chais pas comment! C’est un ami à maman ! Il écrit des super-pièces et je vais en jouer une ! Tu veux voir son livre, avec toutes ses pièces ? »

« - C’est un ami à maman ! Il écrit des super-pièces et je vais en jouer une ! Tu veux voir son livre, avec toutes ses pièces ? »

« - C’est un ami à maman ! Il écrit des super-pièces et je vais en jouer une ! Tu veux voir son livre, avec toutes ses pièces ? »

« - C’est un ami à maman ! Il écrit des super-pièces et je vais en jouer une ! Tu veux voir son livre, avec toutes ses pièces ? »




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Chœur Dernières strophes du texte poétique de Julien TERRENEUVE , « PUISQUE TOUJOURS TOURNE LE MONDE ».

Insupportable
Le poids
Des boues denses
Et visqueuses
Dont se pétrit
L’Histoire
Des Hommes.

Insupportable
La charge d’injustice
De misère
De malheur
Qui brûle les épaules
Et courbe
Les échines
Du troupeau.

Insupportable
L’océan du
Plomb fondu
De tant de
Douleur
De tant de
Larmes
De tant de
Désespoir.

Insupportable
La masse écrasante
Etouffante
Des oppressions
Des aliénations
Des mystifications
Des soumissions
Pour le fragile
Le léger
Tissu
Cristallin
Des âmes.

Pesant de toute
Sa hargne
De toute sa bêtise
De toute son
Inertie
De masse
Obscure
Universelle
La marée
Des impossibles
Des démissions
Des renoncements
Des abandons
Bouscule et
Met à bas
Le vieil édifice
De pierres.
Le sol de granit
Souillé
S’incurve
Cède
Et plonge
Aux abysses
De la crypte
Ténébreuse.

Le mortier
Brun
De caillasse
Et de boue
A tout englouti
Tout colmaté
Tout figé
Anéanti.

Les orbites
Les narines
La bouche
Emplis de glaise et
De gravier
Les morts-vivants
Sentent
Frémir et
Asphyxier
En eux
Les derniers
Papillons
Des rêves
Et des espoirs
Irréalisés.

Comme hier
Innocentes et
Rieuses
Des femmes
En escarpins
De cuir tendre
Dansaient
Au bleu
Des dalles
De granit
Demain
De solides
Gaillards
Immémoriés
Mèneront
Paître
En chantant
De tendres bluettes
Leurs troupeaux
De chèvres
Gourmandes
Sur le monticule
Buissonneux
De la chapelle
En ruine.

Puisque…

Puisque
Toujours
Tourne
Le Monde.

Puisque
Toujours
Rugit
Le soleil.

Puisque
Toujours
Murissent
Des enfants
Aux grands yeux
Dans le sein
Chaud
Des femmes.


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Denis MARULAZ "Dissolution d'un ectoplasme" Texte déposé Sept. 2010

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