mercredi 15 septembre 2010

Dissolution d'un ectoplasme. Un CRI !




Affiche du spectacle du Théâtre de l'Etincelle Nov 2012





Dissolution d'un ectoplasme



Pièce de


Denis MARULAZ



mardi 14 septembre 2010

Dissolution d'un ectoplasme (XII et dernier)




Illustration D.M.




-43-


Chœur Monsieur Julien TERRENEUVE, Poète, écrivain de théâtre, écœuré, se sentant une ultime fois nié, ignoré, bafoué, méprisé, a marché toute une partie de la nuit. Il n’est rentré chez lui que vers trois heures du matin. La tête en papier mâché et remâché. En bouillie.
Marie-Françoise a attendu sur le palier jusqu’à une heure et elle est rentrée chez elle plus morte que vive.
La Gendarmerie a promis qu’on se mettrait en recherche à huit heures si Monsieur TERRENEUVE n’a pas donné signe de vie d’ici là.
Monsieur Julien TERRENEUVE a récupéré les dix livres de ficelle et de papier qui lui restent, les a mis dans un sachet en plastique.
Il a rempli un autre petit sac de vieux bouts de pain rassis et est ressorti sans que personne ne s’en rende compte.
Il a marché comme un fantôme dans la ville déserte est s’est rendu au bord du fleuve. Sur les quais de marchandises abandonnés depuis si longtemps. Seule une vieille grue morte de rouille se dresse en un cri de détresse muette figé à tout jamais.
Monsieur Julien TERRENEUVE, le Poète inconnu, la voix sans oreilles, s’est assis sur la dernière marche du petit escalier, à fleur d’eau. Il sait que dorment là quelques couples de cygnes.
Ça s’agite un peu de cette apparition nocturne inhabituelle.
Les morceaux de pain qui sortent du petit sachet et qui commencent à prendre le fil du courant inspirent cependant les animaux. Après tout, si le vieil homme trouve son compte à cette aumône impromptue…
« -Salut, mes petits camarades. N’ayez pas peur, vous me reconnaissez, hein ? Avec vous, je me sentirai moins seul pour… C’est un moment un peu… délicat… une … dissolution… J’en ai pour quelques minutes, vous savez… je vous rendrai ensuite à votre paix. Allez, mon gars, en piste !»
Il se redresse alors, sort du sachet les livres de ficelle et de papier.




-44-


M. Terreneuve Enfants figés d’effroi serrant sur vos poitrines les chaudes poupées de chiffon, femmes traçant de vos frêles chevilles d’envoutantes arabesques au mauve des dalles de granit, éteignez vos braises vives à l’eau du fleuve, « PUISQUE TOUJOURS TOURNE LE MONDE ».
(Il jette ce titre au courant)

Arbre gigantesque, hébergeant la beauté du monde, de l’abri sombre de tes racines à ton faîte perdu dans les nuages, plonge au néant de l’oubli puisque « DES HOMMES SONT VENUS ».
(Il jette ce titre au courant)

Petite Marie, belle petite Marie qui a tant pleuré d’avoir croisé un fantôme sur ton chemin d’enfant au cœur pur, reprends, apaisée, tes rêves de Monde merveilleux où ne volète aucune « VIVE POUSSIERE ».
(Il laisse tomber ce titre au courant)

Pauvre vieil enfant aveuglé aux fournaises du Monde des hommes, qui t’es jeté âme la première à la dévorance du « SILICIUM », désaltère-toi enfin à la paix de l’onde.
(Il laisse tomber au courant ce titre)

Petit bonhomme mal aseptisé qui ne pouvait que frapper de ton petit point rageur sur le verre de ton bocal pour empêcher l’écrabouillement prophylactique de la merveilleuse femme-libellule, leur emprise au Monde a vaincu et il nous restera à jamais « COMME UN GOÛT DE CENDRE AU REVEIL ».
(Il jette ce titre au courant)

Petites canailles de lutins infréquentables, Briscard, Calebasse, Cholesto, le beau Gersure, Jarnicot, La Bandoche, Phéromone, Purus, Zeugmette, la délicieuse, la sucrée, la perverse… Votre Eminence Sa Béatitude Troisaucube, et vous, crapules de carnaval, Roi Fulminate, Reine Rubéole, Princesse Entrecuisse, Monsieur le Président de la Paix, Roi Purgarer, Reine Saignarée, Roi RictusIV, Reine Rectaversa, Reine Vinaigrette Sulfurique, Pauvre andouille de prince Consort, Roi Vitembois, Reine Chattencuire, grand dadet de Prince Billedacier et vous autres, manants, Funiculus le messager, monsieur l’Astronome, troupeau asservi des paysans et toi, petit Hérault de cérémonie, vous deviez annoncer sur les tréteaux « L’APOCALYPSE SELON ZEUGMETTE », vos mots n’ont pu franchir mon impuissance à les faire entendre, que les eaux noires les dissolvent.
(Il jette ce titre au courant)

Bûchette qui croyait que tout homme peut être sauvé de ses cauchemars, qui avait un cœur vaste jusqu’à aimer une sœur morte de douleur, Marie-Hélène qu’on a tuée à force de larmes, Monsieur Gildas, triste héros, mangeur de destin, je vous demande pardon pour cette inexistence qu’on vous a jetée à la figure. Il ne restera rien de cette rencontre, pas même « TROIS P’TITS COQUELICOTS ».
(Il jette au courant ce titre)

Insupportables et attachants petits marmousets, Félicité, la grande gueule au cœur d’or, Kavichy, le vieux con qui t’es coulé sans t’en rendre compte au moule inaltérable du bœuf ordinaire et imbuvable, Odile, la belle Odile, l’éternelle errante à la recherche de ce bonheur d’enfant qui t’a été volé, Sandya, Rabiha, les belles louloutes à la tête encombrée de rêves heureux, Samy, le poète aux idées multicolores, paumé dans une époque si grise, si gluante, Marco, le pote de chez pote, le frère, Simon, l’enfant blessé, haché vif déjà par une société aux trop grandes dents, Cassy, la magicienne, et toi aussi, Kiki, le petit ours en peluche tout crade et qui donne pourtant du bonheur à une vieille enfant abandonnée, il aurait pu être fort, votre message de vie, s’ils en avaient voulu ! Mais non, pas de place pour ça ici. Alors, je vous abandonne, le cœur meurtri, à vos « LIGNES DE FUITE ».
(Il laisse s’échapper ce titre au courant)

Cher, cher Croccopasti, Le « Roi des rats, le rat des Rois », chers vieux bourgeois, Maitre Clock, Maitre Rafino, et vous, belle jeunesse de jongleurs et de funambules, Capuccinetta la plou bella, qui saura que pour que se fête comme il se doit « LE MARIAGE D’ARLEQUIN », il faudrait en passer par la repentance d’un homme et par le pardon de tous ?
Quelle belle leçon vous donniez au Monde ! Mais puisque ce droit de DIRE vous a été refusé…
(Il jette le titre au courant)

Pauvre Armandine, Armandine perdue dans la forêt, qui as tellement peur des sangliers, et qui en veux au monde entier de n’avoir pas le droit de voir ta maman, Delphine, qui passes tes nuits à regarder les étoiles vides en tenant ton ours bien serré sur ton cœur, Marina, Nadia, et ce cher, ce bon monsieur Vladic, grâce auxquels on n’aurait jamais plus regardé le ciel de la même façon, pour peu qu’on vous ait suivis dans cette inoubliable rencontre au « COL DE LA BICHE ».
Et toi, Marie la courageuse, Marie la farouche, et Morine, Chouquette, Mouche, tes si fidèles copines, Mireille, la petite infirmière au beau courage moral qui défends ces adolescents du regard sale des adultes qui ne peuvent comprendre qu’on rêve d’un monde où l’on ne tue pas les enfants. Cette pièce où l’on s’est dressé, où l’on s’est battu, cette pièce où l’on a interpelé jusqu’au Président de la République, pour changer le cours insupportable des choses. Cette pièce où la jeune fille n’a pas écouté la voix de la facilité quand tout le monde lui disait : « DÉCONNE PAS, MARIE ! »
(Il laisse filer au courant le recueil de deux titres pour adolescents)

Seuls, quelques-uns de mes petits personnages auront-ils une chance d’éclore au soleil… Morine, Muriel, vous avez pris le petit singe savant FROTTZY sous votre protection contre cette vieille brute d’Alex BRICZANOFF, son cruel dompteur. Et dans cette pièce aussi, le miracle du pardon ! « Y PARLE !! Y PARLE !! »
Bénédicte, Gaëlle, Jenny, Marie-Laure, Véronique, ça vous plait de faire du théâtre avec monsieur Constantin, mais ça pourrait être tellement mieux si… Alors vous vous révoltez : « RAS LES COUETTES ! » criez-vous ! Mais qui, pour vous entendre ?
Judith est frappée par une crise en pleine récréation ? Toutes les copines, Angélique, Carmen, Mélanie, Morgane, Rachel et l’infirmière et le Docteur et la Directrice vont tout faire pour trouver les fameuses perles rouges qui manquent à Judith. Et empêcher le Vieux Caron d’emmener la pauvre enfant sur l’Ile d’où l’on ne revient pas. EH ! Judith, « ATTENDS-NOUS ! »
Jérôme, David, Mariette, les quelques enfants qui ont pu incarner vos personnages se sont régalés à déjouer les pièges du jeu, du Lutin, de la Sorcière, des loups, des moutons, des araignées, des sirènes, de la pauvre Princesse qui se fait papillon…
Mais il n’a jamais vraiment pu avoir lieu, le « COUP DE FOUDRE ».
Et ce bon monsieur Dumoulin, coincé dans son univers gris, comme il aimerait voir des classes et des classes d’enfants aider Momiche, Léon, Gaspar et Ramsès, les gros matous bariolés, à le faire s’échapper de ce mauvais rêve et à retrouver l’univers coloré et ensoleillé de son enfance, au cours de cette « NUIT BLANCHE POUR LA BANDE A MOMICHE ! »
Que de bonheur, tous ensemble, ils pourraient offrir…
Ceux-là, de personnages, j’ai confié aujourd’hui leur sort à une gamine de dix ans.
Qu’en fera t-elle ? S’en sortiront-ils mieux que nous ?
La métaphore universelle veut que le poète confie ses mots au vent ensemenceur. A moi, il ne reste qu’à couler les miens dans mon cercueil de vase et de limon.
Puisque la société des hommes a décidé que tel se conjuguait notre destin d’inexistence.




-45-


Chœur Entouré des cygnes majestueux qui voient en lui un camarade de repas et de jeux, le poète aux mots interdits, aux mots emmurés, aux mots noyés dans la boue des viles strates, le poète glisse ses mains dans les poches de son vieux veston dépareillé, serre les poings, emplit ses poumons et, une à une, descend les marches qui poursuivent leur farandole triste sous les puissantes et froides eaux du fleuve.
Il s’immobilise un instant à admirer, à hauteur de regard, le glissement léger et silencieux des superbes oiseaux.
« -Que la vie vous soit douce, petits amours ! ».
Enfin, triste et confiant, il s’abandonne à l’onde, espérant la paix de l’ultime et salvatrice dilution.



-46-


Choeur Le vieil homme a dit : « -Ainsi donc, Amandine… Joli prénom, Amandine… ainsi donc, petite mademoiselle, tu aimes la Poésie… tu en écris aussi ? »

La petite a dit : « -La maitresse, à l’école, elle nous a fait écrire des poèmes sur les gâteaux et tout ce qui est bon à manger ! »

Le vieil homme a dit : « -Sur le thème de la gourmandise, en somme… et toi, de quoi parlait ton poème ? »

La petite a dit : « -Moi, j’en ai fait plusieurs. Un sur les Carambars, j’adore ça, et aussi un qui racontait l’histoire d’une petite fille qui suit un chat dans un trou de souris et qui découvre un trésor de bonbons et de gâteaux au chocolat ! Elle en mange tellement qu’elle attrape une indigestion et elle a des boutons de toutes les couleurs qui lui poussent sur la figure ! … »

Le vieil homme a dit : « -Et bien, dis-donc, tu en as de l’imagination ! Et tous ces poèmes, qu’est-ce que votre maitresse vous en fait faire ? »

La petite a dit : « -Ben, on les a tous lus à la fête de l’école, devant les parents, et elle les a donnés à l’imprimeur pour en faire une espèce de livre, avec des dessins, aussi. »

Le vieil homme a dit : « -C’est une bonne idée, ça, de faire un livre ! »

La petite a dit : « - Oui, mais maintenant que j’ai changé de maitresse, ben, le livre, on l’a plus ! »

Le vieil homme a dit : « - Puisque tu as écrit plusieurs poèmes, tu n’as qu’à te fabriquer un livre avec, en y rajoutant tes dessins ! »

La petite a dit : « -HUUMMM ! Les livres, c’est pas les gens qui les fabriquent ! C’est les imprimeurs ! Je le sais bien, j’ai un tonton qui travaille dans une imprimerie. Même que les livres, y’a un numéro dessus, un code-barres. C’est lui qui m’l’a montré, alors ! »

Le vieil homme a dit : « -Et le livre que je t’ai offert, pour ton anniversaire, tu crois peut-être que c’est un imprimeur qui l’a réalisé sur ses énormes rotatives ? Tu me fais rire… Il n’est pas beau, mon livre ?»

La petite a dit : « -Ben oui, il est beau, même si il est bizarre avec sa ficelle ! Mais c’est pas un vrai livre, y’a même pas le code, d’abord… »

Le vieil homme a dit : « -Evidemment, s’il n’y pas de code… Tu as vu, ce sont des pièces de théâtre, pour de jeunes acteurs de ton âge ! Ce serait bien si… Ça me ferait plaisir… Tu aimes ça, le théâtre ? »

La petite a dit : « - Oh, oui, j’adore ça ! J’en ai fait l’année dernière au Centre aéré. Et à la rentrée, maman, elle va m’inscrire à un vrai cours de théâtre. C’est un ami à elle, elle le connaît du temps où elle faisait l’actrice ! Et lui, y s’appelle Vincent… chais pas comment! Et il écrit des super-pièces et je vais en jouer une ! Tu veux voir son livre, avec toutes ses pièces ? J’l’ai dans ma chambre… »

Le vieil homme a dit : « - Un vrai livre, bien sûr, avec le code-barres ? »

La petite a dit : « -Ben, oui, un vrai livre ! Même qu’il en a vendus plein, alors… Tu veux le voir, dis ? »

Le vieil homme a dit : « -C’est gentil, mais, plus tard, Amandine, là, je suis un peu fatigué. Je crois que je vais dormir encore un peu avec le chat. Tu veux bien remmener l’assiette du gâteau à la cuisine? Il était très bon, tu sais ! »

Marie-Françoise C’est ma faute. J’avais tellement de choses à penser, pour que tout se passe bien ! J’ai oublié de dire à la petite de pas… qu’y fallait surtout pas… C’est ma faute…
C’est ma faute.

Chœur « - Et à la rentrée, maman, elle va m’inscrire à un vrai cours de théâtre. Lui, y s’appelle Vincent chais pas comment! C’est un ami à maman ! Il écrit des super-pièces et je vais en jouer une ! Tu veux voir son livre, avec toutes ses pièces ? »

« - Et à la rentrée, maman, elle va m’inscrire à un vrai cours de théâtre. Lui, y s’appelle Vincent chais pas comment! C’est un ami à maman ! Il écrit des super-pièces et je vais en jouer une ! Tu veux voir son livre, avec toutes ses pièces ? »

« - C’est un ami à maman ! Il écrit des super-pièces et je vais en jouer une ! Tu veux voir son livre, avec toutes ses pièces ? »

« - C’est un ami à maman ! Il écrit des super-pièces et je vais en jouer une ! Tu veux voir son livre, avec toutes ses pièces ? »

« - C’est un ami à maman ! Il écrit des super-pièces et je vais en jouer une ! Tu veux voir son livre, avec toutes ses pièces ? »




-47-


Chœur Dernières strophes du texte poétique de Julien TERRENEUVE , « PUISQUE TOUJOURS TOURNE LE MONDE ».

Insupportable
Le poids
Des boues denses
Et visqueuses
Dont se pétrit
L’Histoire
Des Hommes.

Insupportable
La charge d’injustice
De misère
De malheur
Qui brûle les épaules
Et courbe
Les échines
Du troupeau.

Insupportable
L’océan du
Plomb fondu
De tant de
Douleur
De tant de
Larmes
De tant de
Désespoir.

Insupportable
La masse écrasante
Etouffante
Des oppressions
Des aliénations
Des mystifications
Des soumissions
Pour le fragile
Le léger
Tissu
Cristallin
Des âmes.

Pesant de toute
Sa hargne
De toute sa bêtise
De toute son
Inertie
De masse
Obscure
Universelle
La marée
Des impossibles
Des démissions
Des renoncements
Des abandons
Bouscule et
Met à bas
Le vieil édifice
De pierres.
Le sol de granit
Souillé
S’incurve
Cède
Et plonge
Aux abysses
De la crypte
Ténébreuse.

Le mortier
Brun
De caillasse
Et de boue
A tout englouti
Tout colmaté
Tout figé
Anéanti.

Les orbites
Les narines
La bouche
Emplis de glaise et
De gravier
Les morts-vivants
Sentent
Frémir et
Asphyxier
En eux
Les derniers
Papillons
Des rêves
Et des espoirs
Irréalisés.

Comme hier
Innocentes et
Rieuses
Des femmes
En escarpins
De cuir tendre
Dansaient
Au bleu
Des dalles
De granit
Demain
De solides
Gaillards
Immémoriés
Mèneront
Paître
En chantant
De tendres bluettes
Leurs troupeaux
De chèvres
Gourmandes
Sur le monticule
Buissonneux
De la chapelle
En ruine.

Puisque…

Puisque
Toujours
Tourne
Le Monde.

Puisque
Toujours
Rugit
Le soleil.

Puisque
Toujours
Murissent
Des enfants
Aux grands yeux
Dans le sein
Chaud
Des femmes.


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Denis MARULAZ "Dissolution d'un ectoplasme" Texte déposé Sept. 2010

Dissolution d'un ectoplasme (XI)



Illustration D.M.




-39-


Chœur « PUISQUE TOUJOURS TOURNE LE MONDE », extraits.

Le vent
Tourbillonnant
Enlace
Au col
La plante
Griffue
Et
D’un coup de rein
L’arrache
A la glaise.

Les lourdes huisseries
De la forteresse
Ont sauté
De leurs gonds
Et le vent
S’engouffre
Là-dedans
Comme la Mort
Au corps
De l’enfant
Chétif.

Ça siffle
Ça hurle
Ça se déchire
A chaque
Angle aigüe
Des pierres
Granitiques.

Le tourbillon
Fou
A tout arraché
Des ors de
La chapelle.
Les chaises
Déchiquetées
Jonchent la dalle
Froide
De copeaux
Tranchants.
Le Tabernacle
Eventré
Laisse s’écouler
Le ru
Des hosties
Consacrées
A l’appétit
Des rats.

Plus de prières
Plus de chants
Des hommes
Pour rouler
Sous les voutes
De pierre.
Juste
Les croasseries
Bavardes
Des corbeaux
Le vol
Désarticulé
Des chauves-souris.

Des placards
Eventrés
La bourrasque
Eparpille
En hurlant
Les actes notariés
Les contrats
De mariage
Les Décrets Royaux
Les Traités
De Paix
Les minutes
De procès
D’Inquisition
Les Lettres de Cachet.

Le tourbillon
Des parchemins
Arrachés
Au soliloque
Des hommes
Trouble un instant
Les airs et
Les eaux
Puis la nuit
S’allonge
Calme et dormeuse
Au lit
Des civilisations
Perdues.




-40-


Mme Gilberte Allons, mon petit, allons…

Marie-Françoise Et moi… et moi… J’étais si heureuse, aussi ! Comment dire… On avait … on avait… réussi… vous comprenez, réussi !
Comment on l’avait récupéré il y a quelques mois, dans quelles conditions… et là… endormi… confiant… avec le chat sur les genoux… dans mon jardin….
J’étais heureuse ! Comme une conne ! J’étais fière… fière !
J’ai sauvé un homme !
J’ai sauvé un être humain !
Moi ! Marie-Françoise !
La petite travailleuse sociale !
J’ai sauvé un homme !
C’est ça qui occupait mon esprit ! Qui occupait toute la place !
Pas exprès, pas consciemment, vous savez…
Mais ça me traversait de part en part !
Comme si j’étais une faiseuse de miracles !
Quelle conne ! Quelle conne !
Putain que chuis conne !

Mme Gilberte Mon enfant ! Je vous en prie.
Gardez votre calme… Allez… Respirez… là… là….
Il avait le chat sur les genoux, me disiez-vous….




-41-


Chœur Poème de Julien TERRENEUVE.

Les songes
se font silence
éternels
figés.

La lumière
cristallise
ses rayons immobiles
sur la structure
glacée
de mes os
épinglés.

Des lunes
rivées
aux fers
de mes pensées muettes
se tassent et
se contractent
et leurs regards hagards
me visent et
me transpercent
de dedans à dehors
de « -je suis » à
« -tu es »
de « -je suis » à
« -il est ! ».

Mille épingles forgées
aux feux
d’un iceberg
hérissent l’épiderme
de mes membres raidis
d’où jaillissent
par instants
des étincelles
de
sang.
Leurs poisons
qu’elles me cèdent
dans ce baiser
glacial
se diluent dans mes veines
en autant de cancers
nouant
en liens fatals
mes tripes et
mes regrets.

Ce sont toujours ceux-là
au fond de leurs orbites
comme des billes de glace
comme des poinçons d’airain
figés dans la stupeur
de l’instant suspendu
fixés à tout jamais
au roc de ma mort
ces yeux qui ont aimé
ces yeux qui
t’ont aimée
mais ils n’ont plus de flammes
que celle
d’une lune
qui vacille en silence
et se noie
dans
leur
vide.

Des termites cosmiques
et morpions métalliques
pénètrent dans les chairs
martyrisées de
mon sexe
et l’on entend craquer
sous les pinces sacrilèges
les tissus déchirés
les viscères disséqués.

Ca me brûle partout
au plus profond
du ventre
les bêtes infâmes rampent
de cellule en cellule
jusqu’à me ressurgir
par les pores
de la peau.

Et puis soudain
je sens
des griffes
sur ma poitrine :
deux oursins en acier
de ce bleu métallique
qui grince quand il scintille
enracinent dans mes seins
leurs piques acérées
me fouillent et
me trifouillent cette chair
écarlate
qui hurle sa douleur
son calvaire
par gros bouillons d’écume
dont l’odeur suave écœure même
la
mort.

Il ne leur manquait plus
qu’à me souder
les lèvres
pour que je sois
vaincu
terrassé
muet.

Ils eussent aimé me voir
une loque animale
forcée jusqu’aux tréfonds
de ses entrailles
ouvertes…
…mais le temps a vibré
comme une onde
légère
qui dénoue
en riant
tous les nœuds
de vipères…

Et j’ai crié
crié
et j’ai pleuré…
pleuré…





-42-


Mme Gilberte Je reconnais que c’était quasiment imprévisible.
Le diable se cache dans les détails, comme on dit.
C’est pour cela qu’il faut être particulièrement vigilant avec ces gens-l’… Avec ces… personnes.
Un rien… un mot, sans signification apparente, peut déclencher… des catastrophes.
Un regard… un geste…
C’est pour cela qu’il faut s’en tenir exclusivement au « Cadre » !
Tout est codifié !
Pas d’initiatives !
Pas d’improvisation !
Ça peut vous péter à la figure à tout moment !
Et ça n’a pas raté !

La pauvre petite…
Je ne sais pas si elle s’en remettra…
Je n’aimerais pas être à sa place…
Elle a tellement le sentiment d’avoir agi selon sa conscience…
Humainement, comme elle dit…
Et cela, personne, bien sûr, pas même moi, ne peut le lui reprocher.
Elle a juste confondu.
Elle a voulu agir normalement avec quelqu’un qui… qui ne réagit pas normalement !
Tout vient de là !
Toujours rester vigilant.
Tout détail compte.
Tout peut être fatidique.
Prendre des proportions…
Surtout dans des situations d’intense émotion, symboliques.
Surtout dans ces moments-là !
Marie-Françoise a plaisanté avec ses amis, on racontait des blagues… Muriel, la sœur, a mis de la musique, s’est mise à danser avec son ami et une des jeunes femmes invitées.
Ambiance festive, joyeuse…
Marie-Françoise pense soudain à monsieur TERRENEUVE qui se repose sur la terrasse avec le chat sur les genoux.
Elle envoie la petite Amandine lui demander, s’il est réveillé, s’il désire sa part de gâteau et une tasse de café.
L’enfant revient une minute plus tard. « -Oui, il est réveillé, il veut bien du gâteau mais pas le café. Y dit que sinon y pourrait pas dormir cette nuit. »
Elle repart en gambadant, une assiette à dessert contenant une belle tranche d’entremet à la main.
Monsieur TERRENEUVE la remercie et entame le dessert, faisant attention à ses gestes pour ne pas déranger l’animal qui dort sur ses jambes.
La petite reste à parler avec le vieux monsieur pendant presque un quart d’heure, puis elle revient vers les autres avec l’assiette vide.
« Oh ! Il a tout mangé ! Ça me fait plaisir ! dit Marie-Françoise à sa fille. Vous avez parlé un peu ? De quoi ? ».

Marie-Françoise Elle était toute gaite. « Il est très gentil ! On a parlé des livres qu’on lit à l’école, des poésies qu’on nous fait apprendre… de théâtre, aussi ! J’espère qu’on le rinvitera ! »
Et elle a été rejoindre ceux qui dansaient.
Elle adore ça, aussi…
Immédiatement, à peine elle était partie, j’ai senti comme un malaise en moi… un truc qui m’a fait bizarre, qui a tiré comme un signal d’alarme à l’intérieur…
C’est là que j’ai perdu du temps…
J’ai cherché qu’est-ce qui pouvait bien… quel mot elle m’avait dit qui…
Et comme, avec Maman, j’étais occupée à vider les assiettes à la poubelle avant de les mettre au lave-vaisselle, j’ai pris le temps de finir. J’aime pas faire ça à point d’heure quand tout le monde est parti…
Enfin, j’me suis lavé les mains et chuis sortie sur la terrasse… Toujours avec c’te drôle d’impression…
Sur le fauteuil, y’avait plus qu’le chat.
Quand y m’a vue, il a fait un bond et il est parti dans le jardin.
Machinalement, j’l’ai suivi, j’ai fait le tour de la maison.
Monsieur Julien n’était pas dehors.

Mon cœur s’est congelé dans ma poitrine.
J’devais avoir l’air d’un fantôme pasque quand chuis rentrée au salon, y m’ont tous regardée avec des yeux comme ça et y z’ont arrêté de danser.
Mon mari a compris tout d’suite. « -Qu’est ce qui se passe ? Y’a un ‘blème ? »
« -Personne l’a vu rentrer ? Il est plus dehors…
- Merde ! La tuile ! »

On a fouillé la maison… Rien… Les gars ont pris le voitures, y z’ont fait le tour des p’tites routes, des chemins… Au village non plus, personne…
Là aussi, on a perdu du temps… Une heure, deux heures, chais plus.

Qu’est-ce que j’ai fait ? … Qu’est-ce que j’ai fait ?


Préc. Tab. 39-40-41-42 Suiv.


Denis MARULAZ "Dissolution d'un ectoplasme" Texte déposé Sept. 2010

Dissolution d'un ectoplasme (X)




Illustration D.M.




-35-


Chœur « COMME UN GOÛT DE CENDRE AU REVEIL ». Extraits.

… Elle
qui s’offre
qui s’étale
qui s’exhibe
impudemment
mais innocemment
c’est certain
au regard du monde,
lumineuse
belle, oui,
belle
et légère,
parée
de deux paires
irisées
frissonnantes
ravissantes
d’ailes
de libellule.
Deux paires d’ailes
dont la tiédeur
transparente et
palpitante
se rit de
l’épaisseur
du bocal
et irrite
les X dimensions
de l’univers
de flammèches
multicolores.

t voilà
que l’humaine
échauffée aux rayons
des lumières crues
délie
lentement
ses bras pliés qui
cachaient sa poitrine,
les élève
par-dessus ses épaules
dans l’avalanche
d’une chevelure
elle aussi
apparue
dans la nuit,
les mains
fines
aux doigts écartés
se vautrent à
la soie légère des
ailes vaporeuses.
Elle renverse
doucement
sa tête en arrière
et suit
d’un regard
chaviré
de douceur et
de plaisir
la danse envoûtante
de ses doigts
au voile vivant
et tellement sensible
de ses ailes miraculeuses.
Tout son être ne
semble plus qu’une
longue et chaude
ondulation de bonheur.

De mon regard
j’essaie d’accrocher le
regard de Elle
de l’alerter et
un court instant
nos yeux se baignent
au miroitement
de ceux de l’autre,
je tends le cou pour
lui désigner au loin
les vendangeurs
mais juste elle sourit
-à moi, à elle ?-
et, jetant la
tête en arrière
reprend ses cajolations
emplissant entièrement son bocal
de l’étirement de
ses membres
si fins
de l’ondulation
moutonnante de
ses cheveux
du vibrillonnement aérien de
ses ailes.

Serait-il moins bien tenu
moins surveillé
moins ordonné
moins purifié
un tant soit peu
enraciné encore
aux errances bouillonnantes
de ses origines,
le monde s’embraserait
à ce spectacle-là
dans des feux
infernaux !

Elle
joue de ses ailes
comme d’une harpe.
Quelques notes pointues
Scintillantes
tentent timidement
de traverser
le verre de son bocal,
l’univers semble
frémir insensiblement,
j’en jurerais,
à l’âme vive
de ce diapason
cristallin ;
un instant infime
le silence de plomb
qui écrase
toutes choses
de sa masse
depuis des temps et
des temps
semble céder le pas ;
je sens,
-les autres aussi peut-être?-
qu’un soleil de musique rayonnante
se tient, là,
derrière la chape sourde
prêt à s’infiltrer
de toute sa chaleur
de toute sa vie
de toute sa puissance
par la moindre brèche ouverte.

Que quelques bocaux volent
en éclats
à la piqûre d’une note
encore plus vive
que quelques bougies molles
s’éveillent et
surprises
émettent ne serait-ce
qu’un piaillement étonné
et c’en serait fini
de la congélation
crapuleuse
du monde.
On se retrouverait
tous autant qu’on est
dans un brouhaha
assourdissant
rutilant, gai, clinquant
tissé n’importe comment
anarchiquement
fraternellement
librement
de tous les éclats de mots
les éclats de rires
les éclats d’amour
les éclats de vie.

Les mains
gantées de latex
chirurgical
ont déjà ouvert
le bocal de
Elle,
ont saisi l’être difforme
monstrueux à
leurs yeux,
arraché
d’un geste sec
mécanique
et dans un craquement muet
insupportable
les ailes irisées,
ont broyé le corps,
repoussé tout cela
en bouillie
au fond du flacon,
refermé hermétiquement
celui-ci
avant de le jeter
vivement
au pullulement
infecte
des charognards.

Mes yeux ont hurlé
mes poings rebondi
furieux
impuissants
au verre
génétique
de ma prison.

Alors
la main gigantesque
sanglante encore
de son intervention
prophylactique,
sans haine
sans état d’âme,
professionnellement,
d’une chiquenaude
d’une pichenette machinale
légère
presque désinvolte
envoie valser
mon sort
au fond
du monde.

Je n’ai que le temps
de voir monter à moi
dans un tourbillon vertigineux
la grouillitude
que je redoutais tant,
les yeux enflammés et rieurs
les dents rouges
baveuses
écumantes
de la
Perfection
en passe
d’aboutir.



-36-


Marie-Françoise L’anniversaire d’la petite… J’ai cru que…
J’ai pensé qu’il m’avait tendu la perche…

Mme Gilberte Il n’y a pas de perche tendue ou pas ! Le règlement, le comportement professionnel….

Marie-Françoise Justement ! Justement !
J’avais pas envie d’vous entendre dire ça ! J’ai voulu donner une chance à la vie !

Mme Gilberte C’est réussi, vous en conviendrez !

Marie-Françoise Qu’est-ce vous attendez ? Que j’reconnaisse qu’ça a foiré ? Qu’j’ai pas assuré ? Je reconnais, je reconnais !
Tout est parti en vrille, chais même pas vraiment c’qui s’est passé ! Mais y avait rien pour qu’ça finisse comme ça… rien de visible !
Ça d’vait être une super-journée… familiale… familiale ! Comme y en a des millions ce jour-là qui ont passé une super-journée familiale !
Qui aurait pu imaginer ?

Mme Gilberte C’est bien pourquoi il y a des règlements et des méthodologies dans notre métier, ma petite Marie-Françoise ! Nous ne travaillons pas avec des gens « normaux » comme il y en a des millions, et vous êtes sensée le savoir, mais avec des cas particuliers ! Des individus qui ne se comportent pas normalement dans des situations pourtant normales !
Nous sommes des professionnels, Marie-Françoise, y compris le dimanche, y compris les jours d’anniversaire !
La règle s’applique à chaque instant !
Et vous l’avez oublié !

Marie-Françoise J’ai rien oublié du tout, Madame GILBERTE, j’aime mon métier et j’le connais ! J’ai juste voulu, humainement, donner une chance, ouvrir, peut-être, une porte à cet homme…
Et ça m’a échappé… ça m’a échappé !

Mme Gilberte Nous travaillons en équipe, Marie-Françoise, je vous le rappelle. Les initiatives personnelles de cette envergure ne sont pas envisageables ! Elles sont même interdites ! C’est une faute grave, ce que vous avez fait là !

Marie-Françoise Oui, j’ai eu tort ! Oui, c’est une faute grave ! Très grave, très très grave ! Impardonnable !
Vous allez demander ma tête ? Me faire virer ? Me faire interdire d’exercer ?
C’est évidemment plus facile de rester dans les clous, d’accomplir son petit train-train normalisé… d’laisser un homme se décomposer dans son trou social…

Mme Gilberte A l’heure qu’il est, il se décompose peut-être dans un trou tout court !

Marie-Françoise Par ma faute ! Par ma seule faute ! Par mon manque de professionnalisme ! Ne craignez rien, vous risquez pas d’être mise en cause, Madame GILBERTE, on risque pas d’vous accuser d’avoir pris des risques avec le règlement ! Plutôt l’inhumanité qu’la prise de risques !

Mme Gilberte Je vous arrête tout de suite avant que vous ne dépassiez les limites! N’oubliez pas à qui vous vous adressez !
J’exige de vous un rapport circonstancié, rigoureux, et en évitant de vous laisser submerger par vos émotions. Que je peux comprendre, par ailleurs.
Alors reprenez votre respiration… Et commencez par le début.
Vous me disiez qu’il vous avait tendu une perche.
Expliquez-vous.

Marie-Françoise Il savait que samedi, c’était l’anniversaire d’Amandine… Dix ans… j’lui avais dit, comme ça, sans penser que… Bien sûr, j’aurai pas dû… Ca leur fait du bien, souvent, les petites confidences, ça leur donne le sentiment d’exister… un peu… on fait toutes ça… C’est pas bien ?

Mme Gilberte Passons. Et alors ?

Marie-Françoise Alors, dans la semaine, mardi ou mercredi, chais plus, y m’a tendu un d’ses petits livres… vous savez, ses livres qu’il avait écrits dans l’temps et qu’y fabriquait lui-même…

Mme Gilberte Oui oui, les fameux livres que vous êtes allée dénicher je ne sais où et que vous lui avez remis ! Déjà, là, c’était quand-même limite ! Je ne vois pas de quel droit…

Marie-Françoise Mais c’était les siens ! C’est son travail de toute une partie d’sa vie…

Mme Gilberte Bon ! On ne va pas revenir là-dessus, vous savez ce que j’en pense !
Donc, il vous tend un livre. Pour l’offrir en cadeau d’anniversaire à votre fille, je présume ?

Marie-Françoise Ben, oui… exactement… Un livre de pièces de théâtre, pour enfants… Très joli, vous savez, avec des illustrations qu’il avait fait aussi… « -Tenez, Marie-Françoise… Je serais heureux si vous acceptiez d’offrir ce petit cadeau à votre petite, pour son anniversaire… Je pense que ça lui fera plaisir… C’est de son âge, vous savez… Vous vous rappelez, l’histoire du « singe », et celle des enfants de l’atelier théâtre qui… »
« -Je me rappelle, j’lui ai répondu, moi aussi, chuis sûre qu’elle appréciera beaucoup votre cadeau ! Merci, Monsieur Julien, merci pour elle. Et pour moi ! ».
Et j’lui ai fait un gros bisou sur la joue…

Mme Gilberte Et, évidemment, vous vous êtes dit…

Marie-Françoise Je vous en prie, madame GILBERTE, je vous en prie. Ne pensez pas pour moi, s’il vous plait… C’et pas si simple… y a rien d’évident…
Comme j’vous l’avais dit y a quelques semaines, y se renfermait à nouveau sur lui, pas autant qu’au début, mais quand-même… Voulait plus sortir faire les courses, lisait plus le journal, les mots croisés… Il avait laissé tomber les essais de dessin, ses mélanges de mots et de couleurs… Tout ça, c’était dans un carton et il y touchait plus…J’crois qu’y s’était mis à regarder la télé, mais pas comme les autres, sans la voir…sans… J’me répète, mais c’est peut-être important… C’est p’t’et’ là qu’on a pas su… enfin que…

Mme Gilberte Oui, enfin, si nous nous arrêtons à tous les pets qu’ils font de travers…

Marie-Françoise Moi, j’ai toujours dit qu’on aurait dû l’faire voir par un Psy !

Mme Gilberte Un Psy ! Vous n’avez tous que ce mot-là à la bouche ! Vous savez combien ça coûte à la société, une heure de Psy ? Vous multipliez par des dizaines de milliers de cas, bonjour le trou de la Sécu !
Nous sommes justement là pour pallier cela, Marie-Françoise. Et nous avons un outil reconnu qui s’appelle le « Cadre Institutionnel » ! Pas besoin de Psy ! Un cadre, un règlement, du personnel compétent, des compliments quand c’est mérité, des sanctions quand c’est nécessaire ! On n’a rien trouvé de plus simple et de plus efficace !

Marie-Françoise Si c’était si efficace… Tout c’que j’sais, c’est qu’ça m’plaisait pas trop, et j’vous l’avais dit, vous vous rappelez ?

Mme Gilberte Bon, allez, allez…

Marie-Françoise Alors, quand il a eu ce geste, cette… cette attention pour la p’tite, son anniversaire… j’ai vraiment pensé que…
Vous comprenez, j’avais fini par penser qu’y se refermait exprès sur lui… éviter tout contact avec les autres… avec les humains… montrer qu’il en faisait plus partie… plus partie… comme si … comme si la « Société », comme y disait,… comme si la « Société » avait gagné contre lui, contre son existence ! « -Vous avez voulu me tuer, me nier, m’occulter, et bien vous avez gagné ! Je suis mort ! Je ne vous calcule plus ! Je ne suis pas là ! Vous n’avez plus aucun pouvoir sur moi ! Sauf me donner le coup de grâce et me jeter, anonyme, dans la fosse commune ! ».

Mme Gilberte Vous n’allez pas me dire qu’il ne faut pas être tordu, non ?

Marie-Françoise C’que j’sais, c’est qu’la souffrance, ça peut « tordre » un homme, comme vous dites…
Moi, c’que j’ai cru, sincèrement, ce que j’ai cru en me disant… que tout n’était pas perdu !... c’est qu’y me ... c’est qu’y NOUS tendait la perche ! Et quand j’y repense aujourd’hui, au moment où j’vous parle, c’est qu’c’est vraiment ça… Il a tendu la main…
Qu’à un moment… chais pas comment ça s’est passé dans sa tête… peut-être que ça… mûrissait depuis un certain temps, p’t’et’ qu’c’est venu comme ça, comme un éclair… chais pas… mais à un moment, y s’est dit « -Si je brisais le mur ? Si j’acceptais le rayon de soleil ? Si je rebuvais une goutte d’eau à la source ? Si je faisais confiance ? Au moins à elle ?… Si je me reprenais le droit de vivre ? ».
Peut-être qu’ça a été inconscient, pas quelque-chose de réfléchi… Une force venue de tout-dedans… comme le vieux volcan qui s’réveille après des milliers d’années à dormir et que tout le monde croit qu’c’est juste une colline pour les vaches, avec un p’tit lac dessus…
Peut-être que… Mais je suis sûre qu’c’était un appel ! En tout cas pas juste un geste de politesse ou d’savoir-vivre !
Il avait pas choisi n’importe quel événement ! Et pas n’importe quel livre !
Dans les deux principales histoires de ce livre, deux pièces pour jeunes acteurs, très belles, très émouvantes, des enfants, ou jeunes ados, aident un grand, un adulte, à retrouver le sens de la fraternité, pour l’un, et de la confiance, pour l’autre.
Je suis persuadée qu’Monsieur TERRENEUVE a mis dans ce présent tout c’qu’il a pu trouver en lui d’envie, de besoin, peut-être, tout simplement…

Mme Gilberte Vous auriez dû m’en parler. Me confier votre impression. Cela vous aurait…

Marie-Françoise Cela m’aurait évité de faire la plus grosse connerie d’ma vie ! Mais vu les conseils, ou les ordres, que vous m’auriez donnés, cela m’aurait empêchée d’lui donner une chance… D’lui montrer qu’il comptait pour nous, comme un ami parmi les autres, comme un membre de la famille, pourquoi pas ? D’exister pour des gens… Tout l’monde a droit à ça ! Exister… être attendu… être reconnu… Si y a pas ça, dans la vie, qu’est-ce qui reste ? A quoi on s’raccroche ?
J’pourrais pas, moi, j’pourrais pas ! J’veux même pas y penser !
Alors si on peut… Chais pas, moi… un jour comme ça… donner ce petit bonheur à quelqu’un…

Mme Gilberte Et pourquoi lui, spécialement, et pas un autre ? On n’en serait pas là !
De toute façon, cela n’a pas à se produire, un point c’est tout !
Un petit bonheur ! Un petit bonheur ! On croit rêver !

Marie-Françoise Et alors ? C’est gênant, que certaines personnes connaissent, elles aussi, quelques heures de bonheur de temps en temps ? Ça empêche la Terre de tourner à l’endroit ?
C’est pas comme ça qu’on m’a élevée, moi ! Quand j’étais p’tite, pour les anniversaires des enfants, nos parents nous faisaient porter une part de gâteau à tous les pépés-mémés de la rue !

Mme Gilberte Ma petite fille, fallait faire bonne Sœur, pas travailler dans le social ! Dans le social, il y a des règles et on ne joue pas avec le secret de la confession.
Tout élément, toute information doivent être rapportés et analysés en équipe. On n’est pas là pour faire la charité ou avoir des coups de cœurs mais pour établir des diagnostics, établir des cadres et élaborer des projets ! Ce n’est que comme cela qu’on peut faire évoluer positivement la situation de chaque cas social !

Marie-Françoise C’est pas des « Cas sociaux » ! C’est pas des « CASOC’ » !
Je hais ce mot-là !
J’peux plus l’entendre !
J’l’ai utilisé, moi aussi… Mais là, j’peux plus ! Y m’fout la gerbe ! C’est une honte, ce mot… c’est…

Mme Gilberte Ça vous reprend ?

Marie-Françoise S’cusez-moi… Qu’est-ce que j’disais déjà ?

Mme Gilberte La perche tendue… Le cadeau…. Les pièces de théâtre…

Marie-Françoise Vous voyez, chuis franche, mon mari aussi… il était pas chaud….

Mme Gilberte Ah !

Marie-Françoise Pourquoi lui… pourquoi pas un autre… pourquoi pas tous… c’est une fête de famille… et si y nous pique une crise… t’auras l’air maline… si y tire la gueule toute la journée, ça va être gai !...
Enfin, bon, j’ai réussi à l’convaincre… De toute façon, c’était pas sûr que Monsieur Julien accepterait ! Il attendait peut-être pas ça ! Ça lui ferait peut-être trop peur … Y s’contenterait peut-être d’une part de gâteau, comme les vieux de la rue de mon enfance, d’un gentil mot de remerciement de la petite…
J’lui ai dit comme ça « -Et si vous veniez lui offrir son cadeau vous-même ? Ça lui ferait drôlement plaisir ! Et nous aussi, avec mon mari, on aimerait que vous soyez là ! C’est pas tous les jours qu’on reçoit un poète à la maison… Vous savez, y’aura juste nous, ma sœur Muriel et son copain, un ou deux amis… Maman, bien sûr… vous verrez, elle est très simple, une dame de la campagne… vous pourrez parler jardinage et animaux… ».
J’croyais qu’y refuserait, qu’ça lui ferait trop peur… Pis non, il a juste remarqué que les longs repas, tout le bruit…
J’l’ai rassuré, « -Vous inquiétez pas, c’est à la bonne franquette, y’a la terrasse juste à côté de la salle à manger, avec des fauteuils en rotin et toutes les plantes en bac … une vraie jungle ! Ça, ça va vous plaire ! Vous vous y reposerez comme vous voulez… ».




-37-


Chœur Extraits du texte poétique « PUISQUE TOUJOURS TOURNE LE MONDE »

Le plancher grince
Sur le palier
Comme si
Le poids d’un corps
Se portait
Sur une jambe
Puis sur l’autre.
Le plancher
Grince
Derrière la porte.
L’on s’attend
A tout instant
A voir tourner
La poignée
De faïence.
Les cœurs
Se serrent
Douloureusement
De la terreur
De voir soudain
Surgir
Le Diable
De ses Enfers.

Que la journée fut belle
Pourtant
A rire et
A boire frais
Du vin
Sous la tonnelle.

Le plancher grince
Derrière la porte.
Qui osera
Les trois pas
Du courage
Et coller
L’œil
Au trou de
La serrure ?

Les chiens
Aux dents
Rouges
Errent
Affamés
Dans les rues
De minuit.
Qui a lâché
Les chiens ?
Qui élève
Caché du Monde
Des chiens
Aux dents
Rouges ?

Le plancher grince
Derrière la porte
Et le sang des
Femmes
Et le sang des
Hommes
Se fige
Dans les veines.

Le plancher grince
Derrière la porte
Le chat
Hérissé
Fait le gros dos
Au-dessus
De l’armoire.

Le Diable en est !
Le Diable en est !

Juste un
Grincement
Juste
Un peu de jeu
Entre
Deux lattes
De bois sec.

Ça joue
C’est toujours comme ça
Dans les vieilles
Maisons.
Et le vieux
Rit tout seul
De ses
Trois
Dents
Jaunes.

Il a beau dire
L’ancêtre
Et se foutre
De nos yeux cernés
De ne plus
Dormir
Il a beau dire…

Il a beau dire
Le vieux,
Le gravier
De l’allée,
Le plancher
Dans la nuit…
Il a beau dire…

Qu’en sait-il
D’abord
Le vieux bonhomme
Lui qui ne s’est
De sa vie
Endormi
Sans sécher
Jusqu’au cul
Sa bonbonne
De vin
Noir ?
Que craint-il
De la nuit
Qu’il lui faille
Chaque soir
S’abrutir
Et sombrer
Ivre
Sur sa paillasse
De vieille bête
Peureuse ?

De vieilles chemises
Rapiécées
On a fait
Des poupées
De chiffon
Pour les enfants
Inquiets.
Eux aussi
Entendent
Eux aussi
Pressentent
Et tardent à s’endormir.

C’est que la nuit venue,
Derrière la porte…



-38-


Marie-Françoise Il avait mis son costume gris, juste avec une pochette, comme on faisait dans l’temps, lilas.
Chuis venue l’chercher vers les dix heures et demie. Il était tout beau.
Elégant… C’est ça…Elégant !
« -Vous êtes sûre que je ne vais pas déranger… » m’a t-il dit.
Alors j’lui ai tendu son livre que j’avais empaqueté dans du papier-cadeau «- Tenez, Monsieur Julien, j’ai fait un p’tit paquet, vous allez lui faire plaisir, vous savez ! Elle adore lire ! Mettez-le dans votre poche, on lui offrira tous ses cadeaux juste avant le repas, quand tout le monde sera là ! ».

Personne n’était encore arrivé, sauf Maman. Mon mari l’a accueilli très gentiment, lui disant qu’on était tous heureux de le recevoir. La petite était un peu intimidée. Monsieur Julien lui a d’abord tendu la main. Ça m’a un peu surprise. On fait pas comme ça, d’habitude, avec les enfants.
« -C’est toi, Amandine ? Ta maman m’a dit… elle t’aime beaucoup, tu sais ! Tu as beaucoup de chance… ».
Il s’est penché et il l’a embrassée sur la joue.
Je l’ai fait se débarrasser de sa veste et je lui ai fait visiter la maison. Enfin pas tout, la salle de séjour, le bout d’jardin, la terrasse avec mes centaines de plantes en pot… Il en a reconnues pas mal, m’a donné quelques indications techniques… Il avait l’air… comment dire… de … de respirer … c’est ça ! Ça m’a marquée… De respirer pour la première fois depuis longtemps !
Comme quelqu’un qui sort de prison ou de l’hôpital !
Et quand la Minoute est venue s’frotter à ses jambes ! J’crois qu’j’ai jamais vu un homme aussi heureux ! Il s’est baissé, l’a prise dans ses bras. Le temps d’la monter jusqu’à son visage, et HOP ! elle a sauté par terre !
« -Sauvage ! » a t-il dit. Mais sa voix était d’admiration.
Muriel et son copain sont arrivés puis, juste après, nos quatre amis, deux couples, en fait. On s’connaît tous depuis longtemps.
J’leur ai présenté Monsieur Julien et on est passé à l’apéritif.
ET là… y’a rien à dire de particulier… Ça rigolait, ça parlait fort, enfin, bon, vous connaissez ces ambiances-là, je suppose… Monsieur Julien et Amandine ont bu du jus de fruit, j’ai même pas eu à lui demander…

Bon. Et puis le repas… Comme un repas entre amis, quoi !

Ah, non ! chuis bête ! Y’a eu les cadeaux, juste avant.
Ça ! Elle a été gâtée ! Elle rayonnait, mon p’tit cœur !
Elle savait plus où donner des yeux et du bisou !
Tout l’monde a eu le sien et Monsieur Julien aussi !
« -Ce n’est rien, ce n’est rien, juste un livre… »
« -J’adore les livres ! T’as vu M’man, le livre de M’sieur Julien, y tient avec une ficelle et des perles ! »
« -Tu sais, chérie, c’est Monsieur Julien qui l’a écrit et qui l’a fabriqué, aussi… »
Mais elle était déjà à ouvrir une autre surprise !

Pis le repas, donc. Rien à dire. J’vois pas…
Sauf que ça a duré… vous savez c’que c’est… deux heures, peut-être… On voit pas le temps passer…
A un moment, y m’a demandé, tout doucement, si y pouvait aller s’reposer un peu sur une des chauffeuses sur la terrasse.
Il a bredouillé quelques excuses aux invités et j’l’ai accompagné. J’lui ai rajouté un coussin derrière la nuque pour qu’y soit vraiment bien.
« -Vous prendrez bien du gâteau, du café, j’lui ai dit. »
« -Oui, oui, tout à l’heure, si je ne me suis pas endormi sous ce beau rosier… »

Qui aurait pu penser… Comment j’aurais pu prévoir ? Tout s’passait tellement bien !
Deux ou trois fois, mon mari m’a fait un signe interrogatif, j’me suis levée et je suis allée jeter discrètement un coup d’œil sur la terrasse.
Il était là, dormant tranquillement, la main reposant sur la Minoute qui avait pris place sur ses genoux.
Vraiment, vraiment, il avait l’air serein… heureux… j’vous assure…heureux…


Préc. Tab. 35-36-37-38 Suiv.


Denis MARULAZ "Dissolution d'un ectoplasme" Texte déposé Sept. 2010