vendredi 10 septembre 2010

Dissolution d'un ectoplasme (I)



Illustration D.M.



-1-

(Noir )

Mme Gilberte Vieux con ! Il m’a mordue !

M. Terreneuve Touchez pas à mes affaires, touchez pas à mes affaires !

Mme Gilberte Attachez-le sur ce fauteuil roulant, merde, ça suffit ! Et vous, s’il vous plait, nettoyez-moi ça, j’ai pas envie d’attraper le tétanos.

Infirmier 1 Soyez raisonnable, mon p’tit monsieur, ça se passera bien, vous allez voir…

M. Terreneuve lâchez-moi… je veux pas qu’on me touche… lâchez-moi…

Mme Gilberte Bon, merci, ça ira, je referai un pansement au bureau. Allez, ZOU ! Embarquez-moi le, j’veux plus l’entendre.

M. Terreneuve j’veux pas partir, j’veux rester chez moi ! Laissez-moi… Laissez-moi, J’veux pas partir ! Vous n’avez pas l’droit… J’veux rester chez moi !

Mme Gilberte Ça suffit, Monsieur TERRENEUVE, calmez-vous ! On vous ramène dans quelques jours, le temps de nettoyer votre appartement. Ca ne peut pas rester comme ça ! Vous devez le comprendre.

M. Terreneuve Je veux pas qu’on touche à mes affaires… Touchez pas à mes affaires !

Infirmier 1 Ah ! v’là l’ascenseur !

Infirmier 2 Allez, hop, tout l’monde en voiture !

M. Terreneuve Je ne veux pas y’aller… Je ne veux pas y’aller !

(les portes de l’ascenseur se referment, l’appareil descend.
Lumière.
On se trouve dans une chambre infâme, encombrée d’immondices, de bouteilles vides, de boîtes de conserves au couvercles bâillant, des dizaines de sacs plastiques accumulés sur le sol, le long des murs, sur la table, des vêtements crasseux trainent de partout, la « couche » de l’homme en est recouverte, un placard sans porte déborde de sacs plastiques éventrés, de fringues en vrac. Sur les murs, quelques étagères chargées de bouquins, de boites vides, de babioles, de vieilles radios, lecteurs de cassettes hors d’usage… Quelques dessins jaunis punaisés sur les murs, maculés de taches, déchirés… Madame G. se tient près de la porte de la chambre. Dans celle-ci, deux hommes, engoncés dans des tenues intégrales de nettoyeurs : combinaison, épais gants de caoutchouc, lunettes de protection, masque sur le nez.)

Nettoyeur 1 Bon, alors, on vire tout, madame ?

Mme Gilberte Tout ! Il ne doit rien rester ! Pas un papier, pas une punaise, rien !

Nettoyeur 2 Si c’est pas malheureux, d’en arriver là !

Nettoyeur 1 Allez, gamin, c’est pas le moment de philosopher ! Tiens, vide-moi ce placard, moi j’attaque par là.

(Méthodiquement, les deux hommes remplissent de gros sacs-poubelle de tout ce qui leur tombe sous la main. Quand un sac est plein, on le lie avec son cordon et on le sort dans le couloir. Et hop ! Encore un autre ! Peu à peu la pièce se vide, les sacs s’entassent dans le couloir. Madame G. protège son nez d’un mouchoir en papier, laissant de temps en temps s’exprimer son dégoût, son écœurement.):

Mme Gilberte Quelle horreur… comment peut-on… dégueulasse… si c’est pas une honte… un immeuble sans histoire, tout ce qu’il y a de mieux… pire qu’une bête… trois ans dans un appart’, voilà le résultat… et des bouteilles, et encore des bouteilles… attention, n’allez pas vous blesser… Et ça, qu’est-ce que c’est ? Ma parole, mais c’est de la merde ! Il avait même la flemme d’aller aux toilettes… mais où on vit, je vous le demande… Et ces cafards… comment peut-on vivre dans cette vermine… ça grouille de partout… pas étonnant qu’il y en ait dans tous les étages… faut plus chercher d’où ça vient… même dans le lit, c’en est caffi… »

(Soudain Nettoyeur 2 rejette au sol un sac de voyage qui se trouvait dans l’armoire après l’avoir ouvert.)

Nettoyeur 2 Ah ! C’est dégueulasse !

Nettoyeur 1 K’es’ qui t’arrive, petit ?

Nettoyeur 2 Putain ! une bestiole crevée ! L’enculé !

Mme Gilberte Qu’est-ce vous dites ? Faites voir…

(Nettoyeur 1 se baisse, ouvre le sac à son tour, y jette un coup d’œil rapide, le présente rapidement à Mme G.qui a un haut-le cœur.)

Mme Gilberte Vous croyez que…

Nettoyeur 1 Un clébard, à tous les coups… Ah, la vache !

Mme Gilberte Ça dépasse l’entendement… Un chien crevé, depuis des mois, dans un placard, au milieu des habits, au milieu de…

Nettoyeur 1 Ça va aller, petit ? Allez, on en met un coup, j’ai pas envie de traîner dans c’te pourriture toute la nuit.

Nettoyeur 2 Ça va aller, chef. Putain, vivement qu’on s’boive une bonne mousse !

Nettoyeur 1 Allez, ZOU ! Les étagères, mai’nant !

(Les étagères sont vidées de tout ce qu’elles supportaient, boîtes de conserve, bouquins, dossiers cartonnés, tas de papiers…)

Nettoyeur 1 Pas la peine d’être si instruit, pour en arriver là…

Mme Gilberte Détrompez-vous ! C’est souvent ceux-là qui…

(Tout ce qui traînait dans la pièce est enfourné dans les sacs-poubelle, dans le couloir. Il reste juste la table, une chaise, les étagères vides, le placard.)

Nettoyeur 1 Les meubles aussi ?

Mme Gilberte Les meubles aussi. Vous y mettez un coup de jet avant, bien sûr. Qu’on ne répande pas la vermine dans tout l’immeuble !

Nettoyeur 1 Allez, mon gars, la sulfateuse !

(Nettoyeur 2 se saisit d’une grosse bonbonne de désinfectant et, à l’aide d’un long jet aérosol, arrose de produit les meubles et étagères arrachées du mur. Les deux hommes sortent cela dans le couloir puis Nettoyeur 2 pulvérise toutes les surfaces et recoins de la pièce. Mme G. et Nettoyeur 1 se tiennent légèrement en retrait dans le couloir. Quand la pulvérisation est terminée, Nettoyeur 2 sort à son tour avec son attirail. Nettoyeur 1 rentre à nouveau dans la pièce et dépose d’un côté et de l’autre deux fumigènes insecticides dont la fumée envahit l’espace. Nettoyeur 1 ressort dans le couloir et ferme la porte derrière lui.)

Nettoyeur 1 Laisser mijoter vingt quatre heures. Aérer un peu après. Normalement, y’a rien qui survit. Ensuite, grand lessivage. Ça, vous voyez avec le patron…

Mme Gilberte Et bien, merci messieurs. Je suis désolée pour… Malheureusement, ce sont des choses qui arrivent…

Nettoyeur 1 Z’inquiétez pas, on a l’habitude. Pis nous, faut bien qu’on bosse ! Allez, minot, y’a plus qu’à tout s’colter jusqu’au bahut !




-2-


(La même chambre. Entièrement repeinte en blanc. Entièrement meublée de neuf. Un lit métallique, une table, deux chaises, un meuble-étagères très léger, une armoire avec un miroir, une télé sur un petit meuble à roulettes. Un cadre accroché au mur représentant un voilier.
Monsieur TERRENEUVE, habillé de neuf, chemise, pantalon, chaussons. Il est assis sur une des chaises, prostré.
S’affairant autour de lui, une femme d’une trentaine d’années. Elle fait la navette entre la petite pièce et le coin cuisine où l’on accède par une porte battante, neuve, elle aussi.)

Marie-Françoise Encore cinq minutes, ça va être prêt. Attendez pas trop, faut profiter tant qu’c’est chaud !
J’ai pas salé. J’vous laisse faire. Vous savez mieux que moi.
Votre dessert est au frigo. Le riz au lait. Vous l’oublierez pas, hein ?
Le pain de mie, une tranche ou deux ?
Une tranche ou deux ?
Bon, j’en mets qu’une, si ça va pas, vous en prendrez une autre.
A boire, eau ou jus d’orange ?
Le jus, vaut mieux le garder pour quatre heures, avec les biscuits.
Vous m’avez toujours pas dit si vous préfériez l’assiette jaune ou la bleue.
Tiens, j’vous mets la jaune, aujourd’hui, ça va avec le soleil de dehors !
Chuis sûre que j’oublie quelque chose… Ah ! La serviette !
Vous avez tout c’qui faut, Monsieur TERRENEUVE ?
Bon, j’y vais.
J’ai la p’tite à récupérer…
Au fait, le facteur est passé. Y avait rien.
Bon appétit, Monsieur TERRENEUVE.
A ce soir.
A six heures. Vous oubliez pas, hein !



-3-



Chœur Julien TERRENEUVE, poème.

Ce sont comme des vagues
Humaines
Puissantes
Qui dérangent
Lourdement
Le repos
De mes nuits

Le vin
Pour mes chagrins
L’alcool
Pour mes peines
Ne sont pas étrangers
A ces marées
Nocturnes

La roche émergée
De ce « Moi »
Qui se bat
Pour ne mourir pas
Pour ne mourir plus
La roche émergée
De ce flux angoissant
S’érode
Et disparaît
Dans des gouffres
Liquides

Des chimères
Aux yeux profonds
Comme des peines
M’enlacent et
Me caressent
De leurs charmes
Visqueux
Leurs odeurs de marée
Et de poisson
Séché
M’étreignent
Et me salissent
Jusqu’aux fibres
De l’âme

Mon sang n’a plus
Le teint
Des pisses de Bacchus
Ni la douce enivrance
Des rayons
Du soleil
Il n’est plus qu’un roulis
Baseux
Et cancérique
Triste tourbillon
De flotte
Engourdie

Mes rêves sont liquides
Et mes amours
Poisseux
Dans ce lit de varech
Et de vase endormie

Mon pauvre chat qui dort
Au creux
De ma poitrine
Tu finiras
Rouillé
Par mon haleine
Humide !


Tab. 1-2-3 Suiv.


Denis MARULAZ "Dissolution d'un ectoplasme" Texte déposé Sept.2010

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire