mardi 14 septembre 2010

Dissolution d'un ectoplasme (XI)



Illustration D.M.




-39-


Chœur « PUISQUE TOUJOURS TOURNE LE MONDE », extraits.

Le vent
Tourbillonnant
Enlace
Au col
La plante
Griffue
Et
D’un coup de rein
L’arrache
A la glaise.

Les lourdes huisseries
De la forteresse
Ont sauté
De leurs gonds
Et le vent
S’engouffre
Là-dedans
Comme la Mort
Au corps
De l’enfant
Chétif.

Ça siffle
Ça hurle
Ça se déchire
A chaque
Angle aigüe
Des pierres
Granitiques.

Le tourbillon
Fou
A tout arraché
Des ors de
La chapelle.
Les chaises
Déchiquetées
Jonchent la dalle
Froide
De copeaux
Tranchants.
Le Tabernacle
Eventré
Laisse s’écouler
Le ru
Des hosties
Consacrées
A l’appétit
Des rats.

Plus de prières
Plus de chants
Des hommes
Pour rouler
Sous les voutes
De pierre.
Juste
Les croasseries
Bavardes
Des corbeaux
Le vol
Désarticulé
Des chauves-souris.

Des placards
Eventrés
La bourrasque
Eparpille
En hurlant
Les actes notariés
Les contrats
De mariage
Les Décrets Royaux
Les Traités
De Paix
Les minutes
De procès
D’Inquisition
Les Lettres de Cachet.

Le tourbillon
Des parchemins
Arrachés
Au soliloque
Des hommes
Trouble un instant
Les airs et
Les eaux
Puis la nuit
S’allonge
Calme et dormeuse
Au lit
Des civilisations
Perdues.




-40-


Mme Gilberte Allons, mon petit, allons…

Marie-Françoise Et moi… et moi… J’étais si heureuse, aussi ! Comment dire… On avait … on avait… réussi… vous comprenez, réussi !
Comment on l’avait récupéré il y a quelques mois, dans quelles conditions… et là… endormi… confiant… avec le chat sur les genoux… dans mon jardin….
J’étais heureuse ! Comme une conne ! J’étais fière… fière !
J’ai sauvé un homme !
J’ai sauvé un être humain !
Moi ! Marie-Françoise !
La petite travailleuse sociale !
J’ai sauvé un homme !
C’est ça qui occupait mon esprit ! Qui occupait toute la place !
Pas exprès, pas consciemment, vous savez…
Mais ça me traversait de part en part !
Comme si j’étais une faiseuse de miracles !
Quelle conne ! Quelle conne !
Putain que chuis conne !

Mme Gilberte Mon enfant ! Je vous en prie.
Gardez votre calme… Allez… Respirez… là… là….
Il avait le chat sur les genoux, me disiez-vous….




-41-


Chœur Poème de Julien TERRENEUVE.

Les songes
se font silence
éternels
figés.

La lumière
cristallise
ses rayons immobiles
sur la structure
glacée
de mes os
épinglés.

Des lunes
rivées
aux fers
de mes pensées muettes
se tassent et
se contractent
et leurs regards hagards
me visent et
me transpercent
de dedans à dehors
de « -je suis » à
« -tu es »
de « -je suis » à
« -il est ! ».

Mille épingles forgées
aux feux
d’un iceberg
hérissent l’épiderme
de mes membres raidis
d’où jaillissent
par instants
des étincelles
de
sang.
Leurs poisons
qu’elles me cèdent
dans ce baiser
glacial
se diluent dans mes veines
en autant de cancers
nouant
en liens fatals
mes tripes et
mes regrets.

Ce sont toujours ceux-là
au fond de leurs orbites
comme des billes de glace
comme des poinçons d’airain
figés dans la stupeur
de l’instant suspendu
fixés à tout jamais
au roc de ma mort
ces yeux qui ont aimé
ces yeux qui
t’ont aimée
mais ils n’ont plus de flammes
que celle
d’une lune
qui vacille en silence
et se noie
dans
leur
vide.

Des termites cosmiques
et morpions métalliques
pénètrent dans les chairs
martyrisées de
mon sexe
et l’on entend craquer
sous les pinces sacrilèges
les tissus déchirés
les viscères disséqués.

Ca me brûle partout
au plus profond
du ventre
les bêtes infâmes rampent
de cellule en cellule
jusqu’à me ressurgir
par les pores
de la peau.

Et puis soudain
je sens
des griffes
sur ma poitrine :
deux oursins en acier
de ce bleu métallique
qui grince quand il scintille
enracinent dans mes seins
leurs piques acérées
me fouillent et
me trifouillent cette chair
écarlate
qui hurle sa douleur
son calvaire
par gros bouillons d’écume
dont l’odeur suave écœure même
la
mort.

Il ne leur manquait plus
qu’à me souder
les lèvres
pour que je sois
vaincu
terrassé
muet.

Ils eussent aimé me voir
une loque animale
forcée jusqu’aux tréfonds
de ses entrailles
ouvertes…
…mais le temps a vibré
comme une onde
légère
qui dénoue
en riant
tous les nœuds
de vipères…

Et j’ai crié
crié
et j’ai pleuré…
pleuré…





-42-


Mme Gilberte Je reconnais que c’était quasiment imprévisible.
Le diable se cache dans les détails, comme on dit.
C’est pour cela qu’il faut être particulièrement vigilant avec ces gens-l’… Avec ces… personnes.
Un rien… un mot, sans signification apparente, peut déclencher… des catastrophes.
Un regard… un geste…
C’est pour cela qu’il faut s’en tenir exclusivement au « Cadre » !
Tout est codifié !
Pas d’initiatives !
Pas d’improvisation !
Ça peut vous péter à la figure à tout moment !
Et ça n’a pas raté !

La pauvre petite…
Je ne sais pas si elle s’en remettra…
Je n’aimerais pas être à sa place…
Elle a tellement le sentiment d’avoir agi selon sa conscience…
Humainement, comme elle dit…
Et cela, personne, bien sûr, pas même moi, ne peut le lui reprocher.
Elle a juste confondu.
Elle a voulu agir normalement avec quelqu’un qui… qui ne réagit pas normalement !
Tout vient de là !
Toujours rester vigilant.
Tout détail compte.
Tout peut être fatidique.
Prendre des proportions…
Surtout dans des situations d’intense émotion, symboliques.
Surtout dans ces moments-là !
Marie-Françoise a plaisanté avec ses amis, on racontait des blagues… Muriel, la sœur, a mis de la musique, s’est mise à danser avec son ami et une des jeunes femmes invitées.
Ambiance festive, joyeuse…
Marie-Françoise pense soudain à monsieur TERRENEUVE qui se repose sur la terrasse avec le chat sur les genoux.
Elle envoie la petite Amandine lui demander, s’il est réveillé, s’il désire sa part de gâteau et une tasse de café.
L’enfant revient une minute plus tard. « -Oui, il est réveillé, il veut bien du gâteau mais pas le café. Y dit que sinon y pourrait pas dormir cette nuit. »
Elle repart en gambadant, une assiette à dessert contenant une belle tranche d’entremet à la main.
Monsieur TERRENEUVE la remercie et entame le dessert, faisant attention à ses gestes pour ne pas déranger l’animal qui dort sur ses jambes.
La petite reste à parler avec le vieux monsieur pendant presque un quart d’heure, puis elle revient vers les autres avec l’assiette vide.
« Oh ! Il a tout mangé ! Ça me fait plaisir ! dit Marie-Françoise à sa fille. Vous avez parlé un peu ? De quoi ? ».

Marie-Françoise Elle était toute gaite. « Il est très gentil ! On a parlé des livres qu’on lit à l’école, des poésies qu’on nous fait apprendre… de théâtre, aussi ! J’espère qu’on le rinvitera ! »
Et elle a été rejoindre ceux qui dansaient.
Elle adore ça, aussi…
Immédiatement, à peine elle était partie, j’ai senti comme un malaise en moi… un truc qui m’a fait bizarre, qui a tiré comme un signal d’alarme à l’intérieur…
C’est là que j’ai perdu du temps…
J’ai cherché qu’est-ce qui pouvait bien… quel mot elle m’avait dit qui…
Et comme, avec Maman, j’étais occupée à vider les assiettes à la poubelle avant de les mettre au lave-vaisselle, j’ai pris le temps de finir. J’aime pas faire ça à point d’heure quand tout le monde est parti…
Enfin, j’me suis lavé les mains et chuis sortie sur la terrasse… Toujours avec c’te drôle d’impression…
Sur le fauteuil, y’avait plus qu’le chat.
Quand y m’a vue, il a fait un bond et il est parti dans le jardin.
Machinalement, j’l’ai suivi, j’ai fait le tour de la maison.
Monsieur Julien n’était pas dehors.

Mon cœur s’est congelé dans ma poitrine.
J’devais avoir l’air d’un fantôme pasque quand chuis rentrée au salon, y m’ont tous regardée avec des yeux comme ça et y z’ont arrêté de danser.
Mon mari a compris tout d’suite. « -Qu’est ce qui se passe ? Y’a un ‘blème ? »
« -Personne l’a vu rentrer ? Il est plus dehors…
- Merde ! La tuile ! »

On a fouillé la maison… Rien… Les gars ont pris le voitures, y z’ont fait le tour des p’tites routes, des chemins… Au village non plus, personne…
Là aussi, on a perdu du temps… Une heure, deux heures, chais plus.

Qu’est-ce que j’ai fait ? … Qu’est-ce que j’ai fait ?


Préc. Tab. 39-40-41-42 Suiv.


Denis MARULAZ "Dissolution d'un ectoplasme" Texte déposé Sept. 2010

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