mardi 14 septembre 2010

Dissolution d'un ectoplasme (X)




Illustration D.M.




-35-


Chœur « COMME UN GOÛT DE CENDRE AU REVEIL ». Extraits.

… Elle
qui s’offre
qui s’étale
qui s’exhibe
impudemment
mais innocemment
c’est certain
au regard du monde,
lumineuse
belle, oui,
belle
et légère,
parée
de deux paires
irisées
frissonnantes
ravissantes
d’ailes
de libellule.
Deux paires d’ailes
dont la tiédeur
transparente et
palpitante
se rit de
l’épaisseur
du bocal
et irrite
les X dimensions
de l’univers
de flammèches
multicolores.

t voilà
que l’humaine
échauffée aux rayons
des lumières crues
délie
lentement
ses bras pliés qui
cachaient sa poitrine,
les élève
par-dessus ses épaules
dans l’avalanche
d’une chevelure
elle aussi
apparue
dans la nuit,
les mains
fines
aux doigts écartés
se vautrent à
la soie légère des
ailes vaporeuses.
Elle renverse
doucement
sa tête en arrière
et suit
d’un regard
chaviré
de douceur et
de plaisir
la danse envoûtante
de ses doigts
au voile vivant
et tellement sensible
de ses ailes miraculeuses.
Tout son être ne
semble plus qu’une
longue et chaude
ondulation de bonheur.

De mon regard
j’essaie d’accrocher le
regard de Elle
de l’alerter et
un court instant
nos yeux se baignent
au miroitement
de ceux de l’autre,
je tends le cou pour
lui désigner au loin
les vendangeurs
mais juste elle sourit
-à moi, à elle ?-
et, jetant la
tête en arrière
reprend ses cajolations
emplissant entièrement son bocal
de l’étirement de
ses membres
si fins
de l’ondulation
moutonnante de
ses cheveux
du vibrillonnement aérien de
ses ailes.

Serait-il moins bien tenu
moins surveillé
moins ordonné
moins purifié
un tant soit peu
enraciné encore
aux errances bouillonnantes
de ses origines,
le monde s’embraserait
à ce spectacle-là
dans des feux
infernaux !

Elle
joue de ses ailes
comme d’une harpe.
Quelques notes pointues
Scintillantes
tentent timidement
de traverser
le verre de son bocal,
l’univers semble
frémir insensiblement,
j’en jurerais,
à l’âme vive
de ce diapason
cristallin ;
un instant infime
le silence de plomb
qui écrase
toutes choses
de sa masse
depuis des temps et
des temps
semble céder le pas ;
je sens,
-les autres aussi peut-être?-
qu’un soleil de musique rayonnante
se tient, là,
derrière la chape sourde
prêt à s’infiltrer
de toute sa chaleur
de toute sa vie
de toute sa puissance
par la moindre brèche ouverte.

Que quelques bocaux volent
en éclats
à la piqûre d’une note
encore plus vive
que quelques bougies molles
s’éveillent et
surprises
émettent ne serait-ce
qu’un piaillement étonné
et c’en serait fini
de la congélation
crapuleuse
du monde.
On se retrouverait
tous autant qu’on est
dans un brouhaha
assourdissant
rutilant, gai, clinquant
tissé n’importe comment
anarchiquement
fraternellement
librement
de tous les éclats de mots
les éclats de rires
les éclats d’amour
les éclats de vie.

Les mains
gantées de latex
chirurgical
ont déjà ouvert
le bocal de
Elle,
ont saisi l’être difforme
monstrueux à
leurs yeux,
arraché
d’un geste sec
mécanique
et dans un craquement muet
insupportable
les ailes irisées,
ont broyé le corps,
repoussé tout cela
en bouillie
au fond du flacon,
refermé hermétiquement
celui-ci
avant de le jeter
vivement
au pullulement
infecte
des charognards.

Mes yeux ont hurlé
mes poings rebondi
furieux
impuissants
au verre
génétique
de ma prison.

Alors
la main gigantesque
sanglante encore
de son intervention
prophylactique,
sans haine
sans état d’âme,
professionnellement,
d’une chiquenaude
d’une pichenette machinale
légère
presque désinvolte
envoie valser
mon sort
au fond
du monde.

Je n’ai que le temps
de voir monter à moi
dans un tourbillon vertigineux
la grouillitude
que je redoutais tant,
les yeux enflammés et rieurs
les dents rouges
baveuses
écumantes
de la
Perfection
en passe
d’aboutir.



-36-


Marie-Françoise L’anniversaire d’la petite… J’ai cru que…
J’ai pensé qu’il m’avait tendu la perche…

Mme Gilberte Il n’y a pas de perche tendue ou pas ! Le règlement, le comportement professionnel….

Marie-Françoise Justement ! Justement !
J’avais pas envie d’vous entendre dire ça ! J’ai voulu donner une chance à la vie !

Mme Gilberte C’est réussi, vous en conviendrez !

Marie-Françoise Qu’est-ce vous attendez ? Que j’reconnaisse qu’ça a foiré ? Qu’j’ai pas assuré ? Je reconnais, je reconnais !
Tout est parti en vrille, chais même pas vraiment c’qui s’est passé ! Mais y avait rien pour qu’ça finisse comme ça… rien de visible !
Ça d’vait être une super-journée… familiale… familiale ! Comme y en a des millions ce jour-là qui ont passé une super-journée familiale !
Qui aurait pu imaginer ?

Mme Gilberte C’est bien pourquoi il y a des règlements et des méthodologies dans notre métier, ma petite Marie-Françoise ! Nous ne travaillons pas avec des gens « normaux » comme il y en a des millions, et vous êtes sensée le savoir, mais avec des cas particuliers ! Des individus qui ne se comportent pas normalement dans des situations pourtant normales !
Nous sommes des professionnels, Marie-Françoise, y compris le dimanche, y compris les jours d’anniversaire !
La règle s’applique à chaque instant !
Et vous l’avez oublié !

Marie-Françoise J’ai rien oublié du tout, Madame GILBERTE, j’aime mon métier et j’le connais ! J’ai juste voulu, humainement, donner une chance, ouvrir, peut-être, une porte à cet homme…
Et ça m’a échappé… ça m’a échappé !

Mme Gilberte Nous travaillons en équipe, Marie-Françoise, je vous le rappelle. Les initiatives personnelles de cette envergure ne sont pas envisageables ! Elles sont même interdites ! C’est une faute grave, ce que vous avez fait là !

Marie-Françoise Oui, j’ai eu tort ! Oui, c’est une faute grave ! Très grave, très très grave ! Impardonnable !
Vous allez demander ma tête ? Me faire virer ? Me faire interdire d’exercer ?
C’est évidemment plus facile de rester dans les clous, d’accomplir son petit train-train normalisé… d’laisser un homme se décomposer dans son trou social…

Mme Gilberte A l’heure qu’il est, il se décompose peut-être dans un trou tout court !

Marie-Françoise Par ma faute ! Par ma seule faute ! Par mon manque de professionnalisme ! Ne craignez rien, vous risquez pas d’être mise en cause, Madame GILBERTE, on risque pas d’vous accuser d’avoir pris des risques avec le règlement ! Plutôt l’inhumanité qu’la prise de risques !

Mme Gilberte Je vous arrête tout de suite avant que vous ne dépassiez les limites! N’oubliez pas à qui vous vous adressez !
J’exige de vous un rapport circonstancié, rigoureux, et en évitant de vous laisser submerger par vos émotions. Que je peux comprendre, par ailleurs.
Alors reprenez votre respiration… Et commencez par le début.
Vous me disiez qu’il vous avait tendu une perche.
Expliquez-vous.

Marie-Françoise Il savait que samedi, c’était l’anniversaire d’Amandine… Dix ans… j’lui avais dit, comme ça, sans penser que… Bien sûr, j’aurai pas dû… Ca leur fait du bien, souvent, les petites confidences, ça leur donne le sentiment d’exister… un peu… on fait toutes ça… C’est pas bien ?

Mme Gilberte Passons. Et alors ?

Marie-Françoise Alors, dans la semaine, mardi ou mercredi, chais plus, y m’a tendu un d’ses petits livres… vous savez, ses livres qu’il avait écrits dans l’temps et qu’y fabriquait lui-même…

Mme Gilberte Oui oui, les fameux livres que vous êtes allée dénicher je ne sais où et que vous lui avez remis ! Déjà, là, c’était quand-même limite ! Je ne vois pas de quel droit…

Marie-Françoise Mais c’était les siens ! C’est son travail de toute une partie d’sa vie…

Mme Gilberte Bon ! On ne va pas revenir là-dessus, vous savez ce que j’en pense !
Donc, il vous tend un livre. Pour l’offrir en cadeau d’anniversaire à votre fille, je présume ?

Marie-Françoise Ben, oui… exactement… Un livre de pièces de théâtre, pour enfants… Très joli, vous savez, avec des illustrations qu’il avait fait aussi… « -Tenez, Marie-Françoise… Je serais heureux si vous acceptiez d’offrir ce petit cadeau à votre petite, pour son anniversaire… Je pense que ça lui fera plaisir… C’est de son âge, vous savez… Vous vous rappelez, l’histoire du « singe », et celle des enfants de l’atelier théâtre qui… »
« -Je me rappelle, j’lui ai répondu, moi aussi, chuis sûre qu’elle appréciera beaucoup votre cadeau ! Merci, Monsieur Julien, merci pour elle. Et pour moi ! ».
Et j’lui ai fait un gros bisou sur la joue…

Mme Gilberte Et, évidemment, vous vous êtes dit…

Marie-Françoise Je vous en prie, madame GILBERTE, je vous en prie. Ne pensez pas pour moi, s’il vous plait… C’et pas si simple… y a rien d’évident…
Comme j’vous l’avais dit y a quelques semaines, y se renfermait à nouveau sur lui, pas autant qu’au début, mais quand-même… Voulait plus sortir faire les courses, lisait plus le journal, les mots croisés… Il avait laissé tomber les essais de dessin, ses mélanges de mots et de couleurs… Tout ça, c’était dans un carton et il y touchait plus…J’crois qu’y s’était mis à regarder la télé, mais pas comme les autres, sans la voir…sans… J’me répète, mais c’est peut-être important… C’est p’t’et’ là qu’on a pas su… enfin que…

Mme Gilberte Oui, enfin, si nous nous arrêtons à tous les pets qu’ils font de travers…

Marie-Françoise Moi, j’ai toujours dit qu’on aurait dû l’faire voir par un Psy !

Mme Gilberte Un Psy ! Vous n’avez tous que ce mot-là à la bouche ! Vous savez combien ça coûte à la société, une heure de Psy ? Vous multipliez par des dizaines de milliers de cas, bonjour le trou de la Sécu !
Nous sommes justement là pour pallier cela, Marie-Françoise. Et nous avons un outil reconnu qui s’appelle le « Cadre Institutionnel » ! Pas besoin de Psy ! Un cadre, un règlement, du personnel compétent, des compliments quand c’est mérité, des sanctions quand c’est nécessaire ! On n’a rien trouvé de plus simple et de plus efficace !

Marie-Françoise Si c’était si efficace… Tout c’que j’sais, c’est qu’ça m’plaisait pas trop, et j’vous l’avais dit, vous vous rappelez ?

Mme Gilberte Bon, allez, allez…

Marie-Françoise Alors, quand il a eu ce geste, cette… cette attention pour la p’tite, son anniversaire… j’ai vraiment pensé que…
Vous comprenez, j’avais fini par penser qu’y se refermait exprès sur lui… éviter tout contact avec les autres… avec les humains… montrer qu’il en faisait plus partie… plus partie… comme si … comme si la « Société », comme y disait,… comme si la « Société » avait gagné contre lui, contre son existence ! « -Vous avez voulu me tuer, me nier, m’occulter, et bien vous avez gagné ! Je suis mort ! Je ne vous calcule plus ! Je ne suis pas là ! Vous n’avez plus aucun pouvoir sur moi ! Sauf me donner le coup de grâce et me jeter, anonyme, dans la fosse commune ! ».

Mme Gilberte Vous n’allez pas me dire qu’il ne faut pas être tordu, non ?

Marie-Françoise C’que j’sais, c’est qu’la souffrance, ça peut « tordre » un homme, comme vous dites…
Moi, c’que j’ai cru, sincèrement, ce que j’ai cru en me disant… que tout n’était pas perdu !... c’est qu’y me ... c’est qu’y NOUS tendait la perche ! Et quand j’y repense aujourd’hui, au moment où j’vous parle, c’est qu’c’est vraiment ça… Il a tendu la main…
Qu’à un moment… chais pas comment ça s’est passé dans sa tête… peut-être que ça… mûrissait depuis un certain temps, p’t’et’ qu’c’est venu comme ça, comme un éclair… chais pas… mais à un moment, y s’est dit « -Si je brisais le mur ? Si j’acceptais le rayon de soleil ? Si je rebuvais une goutte d’eau à la source ? Si je faisais confiance ? Au moins à elle ?… Si je me reprenais le droit de vivre ? ».
Peut-être qu’ça a été inconscient, pas quelque-chose de réfléchi… Une force venue de tout-dedans… comme le vieux volcan qui s’réveille après des milliers d’années à dormir et que tout le monde croit qu’c’est juste une colline pour les vaches, avec un p’tit lac dessus…
Peut-être que… Mais je suis sûre qu’c’était un appel ! En tout cas pas juste un geste de politesse ou d’savoir-vivre !
Il avait pas choisi n’importe quel événement ! Et pas n’importe quel livre !
Dans les deux principales histoires de ce livre, deux pièces pour jeunes acteurs, très belles, très émouvantes, des enfants, ou jeunes ados, aident un grand, un adulte, à retrouver le sens de la fraternité, pour l’un, et de la confiance, pour l’autre.
Je suis persuadée qu’Monsieur TERRENEUVE a mis dans ce présent tout c’qu’il a pu trouver en lui d’envie, de besoin, peut-être, tout simplement…

Mme Gilberte Vous auriez dû m’en parler. Me confier votre impression. Cela vous aurait…

Marie-Françoise Cela m’aurait évité de faire la plus grosse connerie d’ma vie ! Mais vu les conseils, ou les ordres, que vous m’auriez donnés, cela m’aurait empêchée d’lui donner une chance… D’lui montrer qu’il comptait pour nous, comme un ami parmi les autres, comme un membre de la famille, pourquoi pas ? D’exister pour des gens… Tout l’monde a droit à ça ! Exister… être attendu… être reconnu… Si y a pas ça, dans la vie, qu’est-ce qui reste ? A quoi on s’raccroche ?
J’pourrais pas, moi, j’pourrais pas ! J’veux même pas y penser !
Alors si on peut… Chais pas, moi… un jour comme ça… donner ce petit bonheur à quelqu’un…

Mme Gilberte Et pourquoi lui, spécialement, et pas un autre ? On n’en serait pas là !
De toute façon, cela n’a pas à se produire, un point c’est tout !
Un petit bonheur ! Un petit bonheur ! On croit rêver !

Marie-Françoise Et alors ? C’est gênant, que certaines personnes connaissent, elles aussi, quelques heures de bonheur de temps en temps ? Ça empêche la Terre de tourner à l’endroit ?
C’est pas comme ça qu’on m’a élevée, moi ! Quand j’étais p’tite, pour les anniversaires des enfants, nos parents nous faisaient porter une part de gâteau à tous les pépés-mémés de la rue !

Mme Gilberte Ma petite fille, fallait faire bonne Sœur, pas travailler dans le social ! Dans le social, il y a des règles et on ne joue pas avec le secret de la confession.
Tout élément, toute information doivent être rapportés et analysés en équipe. On n’est pas là pour faire la charité ou avoir des coups de cœurs mais pour établir des diagnostics, établir des cadres et élaborer des projets ! Ce n’est que comme cela qu’on peut faire évoluer positivement la situation de chaque cas social !

Marie-Françoise C’est pas des « Cas sociaux » ! C’est pas des « CASOC’ » !
Je hais ce mot-là !
J’peux plus l’entendre !
J’l’ai utilisé, moi aussi… Mais là, j’peux plus ! Y m’fout la gerbe ! C’est une honte, ce mot… c’est…

Mme Gilberte Ça vous reprend ?

Marie-Françoise S’cusez-moi… Qu’est-ce que j’disais déjà ?

Mme Gilberte La perche tendue… Le cadeau…. Les pièces de théâtre…

Marie-Françoise Vous voyez, chuis franche, mon mari aussi… il était pas chaud….

Mme Gilberte Ah !

Marie-Françoise Pourquoi lui… pourquoi pas un autre… pourquoi pas tous… c’est une fête de famille… et si y nous pique une crise… t’auras l’air maline… si y tire la gueule toute la journée, ça va être gai !...
Enfin, bon, j’ai réussi à l’convaincre… De toute façon, c’était pas sûr que Monsieur Julien accepterait ! Il attendait peut-être pas ça ! Ça lui ferait peut-être trop peur … Y s’contenterait peut-être d’une part de gâteau, comme les vieux de la rue de mon enfance, d’un gentil mot de remerciement de la petite…
J’lui ai dit comme ça « -Et si vous veniez lui offrir son cadeau vous-même ? Ça lui ferait drôlement plaisir ! Et nous aussi, avec mon mari, on aimerait que vous soyez là ! C’est pas tous les jours qu’on reçoit un poète à la maison… Vous savez, y’aura juste nous, ma sœur Muriel et son copain, un ou deux amis… Maman, bien sûr… vous verrez, elle est très simple, une dame de la campagne… vous pourrez parler jardinage et animaux… ».
J’croyais qu’y refuserait, qu’ça lui ferait trop peur… Pis non, il a juste remarqué que les longs repas, tout le bruit…
J’l’ai rassuré, « -Vous inquiétez pas, c’est à la bonne franquette, y’a la terrasse juste à côté de la salle à manger, avec des fauteuils en rotin et toutes les plantes en bac … une vraie jungle ! Ça, ça va vous plaire ! Vous vous y reposerez comme vous voulez… ».




-37-


Chœur Extraits du texte poétique « PUISQUE TOUJOURS TOURNE LE MONDE »

Le plancher grince
Sur le palier
Comme si
Le poids d’un corps
Se portait
Sur une jambe
Puis sur l’autre.
Le plancher
Grince
Derrière la porte.
L’on s’attend
A tout instant
A voir tourner
La poignée
De faïence.
Les cœurs
Se serrent
Douloureusement
De la terreur
De voir soudain
Surgir
Le Diable
De ses Enfers.

Que la journée fut belle
Pourtant
A rire et
A boire frais
Du vin
Sous la tonnelle.

Le plancher grince
Derrière la porte.
Qui osera
Les trois pas
Du courage
Et coller
L’œil
Au trou de
La serrure ?

Les chiens
Aux dents
Rouges
Errent
Affamés
Dans les rues
De minuit.
Qui a lâché
Les chiens ?
Qui élève
Caché du Monde
Des chiens
Aux dents
Rouges ?

Le plancher grince
Derrière la porte
Et le sang des
Femmes
Et le sang des
Hommes
Se fige
Dans les veines.

Le plancher grince
Derrière la porte
Le chat
Hérissé
Fait le gros dos
Au-dessus
De l’armoire.

Le Diable en est !
Le Diable en est !

Juste un
Grincement
Juste
Un peu de jeu
Entre
Deux lattes
De bois sec.

Ça joue
C’est toujours comme ça
Dans les vieilles
Maisons.
Et le vieux
Rit tout seul
De ses
Trois
Dents
Jaunes.

Il a beau dire
L’ancêtre
Et se foutre
De nos yeux cernés
De ne plus
Dormir
Il a beau dire…

Il a beau dire
Le vieux,
Le gravier
De l’allée,
Le plancher
Dans la nuit…
Il a beau dire…

Qu’en sait-il
D’abord
Le vieux bonhomme
Lui qui ne s’est
De sa vie
Endormi
Sans sécher
Jusqu’au cul
Sa bonbonne
De vin
Noir ?
Que craint-il
De la nuit
Qu’il lui faille
Chaque soir
S’abrutir
Et sombrer
Ivre
Sur sa paillasse
De vieille bête
Peureuse ?

De vieilles chemises
Rapiécées
On a fait
Des poupées
De chiffon
Pour les enfants
Inquiets.
Eux aussi
Entendent
Eux aussi
Pressentent
Et tardent à s’endormir.

C’est que la nuit venue,
Derrière la porte…



-38-


Marie-Françoise Il avait mis son costume gris, juste avec une pochette, comme on faisait dans l’temps, lilas.
Chuis venue l’chercher vers les dix heures et demie. Il était tout beau.
Elégant… C’est ça…Elégant !
« -Vous êtes sûre que je ne vais pas déranger… » m’a t-il dit.
Alors j’lui ai tendu son livre que j’avais empaqueté dans du papier-cadeau «- Tenez, Monsieur Julien, j’ai fait un p’tit paquet, vous allez lui faire plaisir, vous savez ! Elle adore lire ! Mettez-le dans votre poche, on lui offrira tous ses cadeaux juste avant le repas, quand tout le monde sera là ! ».

Personne n’était encore arrivé, sauf Maman. Mon mari l’a accueilli très gentiment, lui disant qu’on était tous heureux de le recevoir. La petite était un peu intimidée. Monsieur Julien lui a d’abord tendu la main. Ça m’a un peu surprise. On fait pas comme ça, d’habitude, avec les enfants.
« -C’est toi, Amandine ? Ta maman m’a dit… elle t’aime beaucoup, tu sais ! Tu as beaucoup de chance… ».
Il s’est penché et il l’a embrassée sur la joue.
Je l’ai fait se débarrasser de sa veste et je lui ai fait visiter la maison. Enfin pas tout, la salle de séjour, le bout d’jardin, la terrasse avec mes centaines de plantes en pot… Il en a reconnues pas mal, m’a donné quelques indications techniques… Il avait l’air… comment dire… de … de respirer … c’est ça ! Ça m’a marquée… De respirer pour la première fois depuis longtemps !
Comme quelqu’un qui sort de prison ou de l’hôpital !
Et quand la Minoute est venue s’frotter à ses jambes ! J’crois qu’j’ai jamais vu un homme aussi heureux ! Il s’est baissé, l’a prise dans ses bras. Le temps d’la monter jusqu’à son visage, et HOP ! elle a sauté par terre !
« -Sauvage ! » a t-il dit. Mais sa voix était d’admiration.
Muriel et son copain sont arrivés puis, juste après, nos quatre amis, deux couples, en fait. On s’connaît tous depuis longtemps.
J’leur ai présenté Monsieur Julien et on est passé à l’apéritif.
ET là… y’a rien à dire de particulier… Ça rigolait, ça parlait fort, enfin, bon, vous connaissez ces ambiances-là, je suppose… Monsieur Julien et Amandine ont bu du jus de fruit, j’ai même pas eu à lui demander…

Bon. Et puis le repas… Comme un repas entre amis, quoi !

Ah, non ! chuis bête ! Y’a eu les cadeaux, juste avant.
Ça ! Elle a été gâtée ! Elle rayonnait, mon p’tit cœur !
Elle savait plus où donner des yeux et du bisou !
Tout l’monde a eu le sien et Monsieur Julien aussi !
« -Ce n’est rien, ce n’est rien, juste un livre… »
« -J’adore les livres ! T’as vu M’man, le livre de M’sieur Julien, y tient avec une ficelle et des perles ! »
« -Tu sais, chérie, c’est Monsieur Julien qui l’a écrit et qui l’a fabriqué, aussi… »
Mais elle était déjà à ouvrir une autre surprise !

Pis le repas, donc. Rien à dire. J’vois pas…
Sauf que ça a duré… vous savez c’que c’est… deux heures, peut-être… On voit pas le temps passer…
A un moment, y m’a demandé, tout doucement, si y pouvait aller s’reposer un peu sur une des chauffeuses sur la terrasse.
Il a bredouillé quelques excuses aux invités et j’l’ai accompagné. J’lui ai rajouté un coussin derrière la nuque pour qu’y soit vraiment bien.
« -Vous prendrez bien du gâteau, du café, j’lui ai dit. »
« -Oui, oui, tout à l’heure, si je ne me suis pas endormi sous ce beau rosier… »

Qui aurait pu penser… Comment j’aurais pu prévoir ? Tout s’passait tellement bien !
Deux ou trois fois, mon mari m’a fait un signe interrogatif, j’me suis levée et je suis allée jeter discrètement un coup d’œil sur la terrasse.
Il était là, dormant tranquillement, la main reposant sur la Minoute qui avait pris place sur ses genoux.
Vraiment, vraiment, il avait l’air serein… heureux… j’vous assure…heureux…


Préc. Tab. 35-36-37-38 Suiv.


Denis MARULAZ "Dissolution d'un ectoplasme" Texte déposé Sept. 2010

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